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Les locataires seront-ils bientôt fichés en cas d'impayés de loyers ? La Fnaim s'est attirée les foudres des associations de locataires et du ministre du Logement Julien Denormandie en annonçant la conception avancée d'un fichier qui aurait reçu l'aval de la Cnil.
C'est une annonce en marge d'une conférence de presse qui s'est répandue comme une traînée de poudre dans la sphère du Logement. Après avoir présenté, le 15 janvier 2020, le bilan immobilier de l'année 2019 et énuméré les perspectives économiques et politiques pour 2020, Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim), a rappelé la
mobilisation de la profession pour la mise en place d'un fichier d'incidents de paiements, qui recenserait les locataires "mauvais payeurs".
La proposition est loin d'être nouvelle, et les tentatives de création nombreuses, mais elle semble avoir pris une tournure nouvelle, ayant désormais l'aval de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Le projet "Arthel", prendrait la forme d'
une base de données qui répertorie les locataires accusant 3 mois de retard de paiement de loyer, qui y resteraient inscrits jusqu'à 3 ans, à moins d'avoir régularisé leur dette.
"Ce projet a l'accord de la Cnil, et nous souhaiterions que sa mise en place soit concomitante avec le mandat de gestion avec obligation de résultats", avait indiqué Jean-Marc Torrollion. Pour rappel, la proposition de loi de Mickaël Nogal, attendue au printemps à l'Assemblée nationale, prévoit la création d'un nouveau mandat de gestion permettant aux propriétaires bailleurs de se voir payer leur loyer par l'administrateur de bien, en cas de défaillance du locataire.
La Fnaim voit donc dans le fichier des mauvais payeurs
un outil permettant de sécuriser au mieux ce mandat de gestion, avec une réduction des risques lui permettant,
in fine, de mieux négocier les tarifs et primes auprès de ses assureurs. Interrogée par
Le Monde, la Cnil a assuré
"accorder une attention très particulière à ces fichiers de mauvais payeurs et à ces listes noires, au regard des risques qui pèsent sur les droits et libertés des personnes concernées". Parmi les conditions fixées par le gendarme des libertés numériques :
une totale transparence auprès des locataires, qui ne serait consultable que par les professionnels.
Sauf que des premiers contours ébauchés par Jean-Marc Torrollion,
les assureurs pourraient être associés à la consultation de ces fichiers. Sollicité par nos confrères de
Batiactu, le président-adjoint de la Fnaim, Loïc Cantin, représentait la fédération le 27 novembre dernier, à l'occasion d'une réunion entre professionnels immobiliers, courtiers et assureurs, sous la houlette du député (LREM) Mickaël Nogal. Quid des liaisons entre assureurs, administrateurs de bien autour du fichier des incidents de paiement ?
Un bonus-malus en fonction des données du fichier ?
"Toutes les pistes sont ouvertes (...) le système assurantiel relève encore du prospectif mais les données de ce fichier pourront être prises en compte comme dispositif de réduction de risques, avec pourquoi pas un système de bonus-malus", confie Loïc Cantin, qui préside également la fédération régionale en Pays de la Loire. La Fnaim devait tenir une réunion, le 29 janvier dernier avec Galian, assureur des professionnels immobiliers, pour élaborer le produit permettant la consignation du dépôt de garantie, et les paramètres du nouveau mandat de gestion avec obligations de résultats. Sollicitée par
Batiactu, la Cnil affirme que
l'encadrement de cette base de données portera notamment sur
"la sectorisation stricte de ce fichier à des acteurs professionnels d'un même secteur d'activité", de même qu'un professionnel ne
"devra pas pouvoir consulter la liste intégrale des personnes inscrites".
Consultable par les administrateurs de biens, les assureurs ou les deux, les associations représentatives des locataires sont foncièrement contre
l'application d'une telle base de données, "scandaleuse" pour la CLCV, qui a réagi dans un communiqué.
"Le locataire qui, pour des raisons légitimes, aura connu des incidents de paiement verra son dossier purement et simplement écarté. Penser un seul instant que le bailleur fera l'effort de le contacter pour connaître les motifs de l'impayé relève de la plus grande naïveté", ajoute l'association de défense des locataires.
Dans un courrier adressé au ministre du Logement Julien Denormandie, que
Batiactu a pu se procurer, la CNL demande qu'il
"intervienne auprès de la Fnaim afin de les persuader de mettre fin à ce projet inacceptable et stigmatisant pour l'ensemble des habitants de notre pays". Face à cette pomme de discorde qui porte un coup à
la pacification des rapports locatifs brandie par le député Nogal avec sa proposition de loi,
le ministre Julien Denormandie a plutôt pris le parti des locataires. Depuis son compte Twitter, le ministre chargé du Logement affirme qu'il
"n'approuve pas cette proposition (...) convaincu que la confiance entre propriétaire et locataire ne se construit pas par la mise en place d'un tel fichier".