Un monde plus durable passe par son architecture. Depuis 15 ans, les prix du
Global Award for Sustainable Architecture récompensent des architectes du monde entier pour leurs projets environnementaux, innovants et durables. Au total, 75 professionnels ont été salués dans le monde depuis la création de ce prix. Ils ont tous pour objectif commun de préserver l'habitabilité du monde.
En 2022, le prix, dont le thème est "Le territoire : quelles menaces, quelles ressources ?", a été remis à six lauréats, le paysagiste français Gilles Clément, l'architecte indienne installée à Berlin Anupama Kundoo, l'architecte danoise Dorte Mandrup, le constructeur autrichien Martin Rauch, ainsi que l'architecte et l'urbaniste turcs Ömer Selçuk Baz et Okan Bal. Un prix d'honneur a également été attribué, à l'unanimité du jury, au philosophe français Bruno Latour. Décédé dans la nuit du 8 au 9 octobre 2022, il faisait partie des acteurs majeurs de l'écologie politique. Un hommage lui sera rendu par Catherine Chevillot, présidente de la Cité de l'architecture et du patrimoine. C'est dans ce lieu culturel parisien que se trouve l'exposition illustrant le travail des lauréats, jusqu'au 30 janvier 2023.
Qui sont les lauréats ?
Global Award for Sustainable Architecture 2022 © DR
Gilles Clément est un touche-à-tout. A la fois ingénieur horticole, botaniste, paysagiste, professeur et écrivain, cette figure du débat écologique mondial propose une œuvre paysagère qui promeut l'évolution et la circulation libre des espèces. Il intervient tout autant dans des grands sites naturels qu'historiques, et travaille "
sur la réparation écologique et sociale de la ville ordinaire, ses friches et ses délaissés", indique le jury dans un communiqué.
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Plutôt que de surexploiter la nature, il est grand temps, pour Gilles Clément, de laisser vivre et circuler les espèces et la biodiversité, en champ libre." Selon le gagnant, "
les plantes et les animaux jouent un rôle positif sur la gestion d'un jardin". Depuis 1979, il officie comme professeur à l'École nationale supérieure du paysage de Versailles et a reçu, en 1998, le Grand prix du paysage. Il a notamment signé le jardin paysager le Domaine du Rayol, à Hyères, mais aussi le Parc André-Citroën et le jardin du Musée du Quai Branly, à Paris.
Global Award for Sustainable Architecture 2022 © Javier Callejas
D'origine bengali, l'architecte indienne
Anupama Kundoo a d'abord fait ses études à Bombay avant de poser ses valises dans la capitale allemande. C'est là-bas qu'elle crée son agence, ainsi qu'à Auroville, une ville construite en Inde par Roger Anger et dont elle est aujourd'hui urbaniste en chef. "
Anupama Kundoo fait partie des architectes pour qui, en écologie, le mot développement compte autant que le mot durable. Elle refuse que l'innovation ne soit accessible qu'à une minorité", souligne le jury. Elle travaille notamment avec des entreprises locales, invente des matériaux et techniques de construction écologique et cherche à créer le dialogue entre local et universel dans des projets d'éco-communautés. Elle donne également des cours dans les plus grandes universités internationales, de Yale, aux Etats-Unis, à l'Université technique de Berlin. "
Son architecture n'est pas seulement belle mais inventive, jusque sur le chantier", considère le jury.
Interrogée par l'architecte et fondatrice du concours Jana Revedin, son homologue indienne s'est confiée sur sa vision de l'architecture. "
Au plan matériel, l'architecture est une forme d'intervention humaine, au cours de laquelle matières et molécules sont transformées, pour entourer un espace ou un vide qui aura la fonction d'abriter et de soulager la vie. Cette matérialité de l'architecture est devenue très problématique car les modes de construction actuels induisent une consommation inconsciente et incontrôlée de ressources naturelles, engendrant toutes sortes de déséquilibres : pollution, 'syndrome du bâtiment malsain'. Ces façons de construire menacent non seulement notre qualité de vie et notre santé mais aussi la vie des autres espèces et la finitude de nos ressources naturelles."
Des matériaux naturels
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Dorte Mandrup a gagné une renommée mondiale par la beauté des projets qu'elle édifie, dans des climats extrêmes et sur des sites qui, comme les glaciers du Groenland, ont une valeur universelle et qu'elle-même qualifie d''irremplaçables'", observe le jury pour parler de l'architecte danoise. Pour elle, la construction écologique est comme une science. L'utilisation du bois du chaume est une priorité pour celle qui étudie leurs propriétés. "
Elle pousse l'innovation technique pour concevoir avec eux une architecture capable d'aider les sociétés à affronter une rupture brutale, le dérèglement climatique", continue le jury. Elle a fondé son agence à Copenhague en 1999, qui a depuis gagné de nombreux concours internationaux sur des sites naturels très sensibles, classés au Patrimoine mondial de l'Unesco. Professeur à l'Académie d'architecture de Mendrisio (Suisse), elle a été présidente du jury du Prix européen Mies van der Rohe en 2019.
Global Award for Sustainable Architecture 2022 © Adam Mørk
Avant de se diriger vers la construction et l'architecture, l'Autrichien
Martin Rauch était céramiste. La terre est son matériau phare, qu'il a d'abord appris à modeler en Afrique lors d'une mission de volontariat. Il découvre là-bas les huttes d'argile puis, plus tard, l'architecture de terre européenne et sa richesse culturelle et technique. De ses expériences, il crée sa société Lehm-Ton-Erde, spécialisée dans la construction en terre. "
Écologiste convaincu autant qu'esthète, il extrait l'argile du site même de ses chantiers, pour rétablir le lien entre édifice et paysage. Cet autodidacte refait de la terre un matériau contemporain, inventant des machines pour préfabriquer les murs et lancer des constructions en terre de grande dimension", décrit le jury. Il a notamment construit sa propre maison en pisé et a travaillé sur la Maison des plantes de Ricola, "
plus grand bâtiment en pisé d'Europe, achevé en 5 mois et fait de 666 pans préfabriqués à 10 km du chantier avec une argile locale". Professeur honoraire de la Chaire Unesco "Architecture de Terre", il reçoit en 2016 le Prix spécial de l'innovation du Terra Award.
Redonner sa place au territoire
Global Award for Sustainable Architecture 2022 © Egemen Karakaya
Enfin, le jury a décerné un prix à l'architecte
Ömer Selçuk Baz et l'urbaniste
Okan Bal, fondateurs de l'agence turque Yalin. "
En Turquie, l'agence combat ce qu'elle nomme des 'crimes urbains', une absence de règles et d'éthique qui fait qu'on rase la ville ancienne au profit d'une 'architecture de vitrine', tandis que la périphérie tourne au chaos", explique le jury. Une description que confirme Ömer Selçuk Baz. "
Chaque étape d'un projet est semée d'embûches. Ces processus sont difficiles, truffés de pièges, qu'il s'agisse du flou juridique entourant les documents d'urbanisme, de la gestion insuffisante des contextes sociaux, culturels, naturels et historiques ou des attentes irréalistes des opérateurs", raconte-t-il.
Le cabinet travaille sur l'aménagement de sites naturels et culturels, et les inscrit dans leurs territoires. Une attention particulière est donnée aux matériaux disponibles dans les environs d'un projet. "
Pour construire les édifices, Yalin visite les carrières et les briqueteries avoisinantes, ravive des métiers et des façons de bien faire", ajoute le jury. C'est le cas pour le projet de la bibliothèque à Konya, en pierre et en bois. Le projet n'endommage pas "
un seul arbre des bosquets environnants", promet l'architecte, lauréat des prix Young Architects of the Year Award, en 2011 et du European 40 under 40 Award en 2018.