L'architecte Jean-Michel Wilmotte a été élu directeur de la Maison-Atelier Lurçat par l'Académie des Beaux-Arts qui en a la charge, pour une durée de 5 ans. Maison de l'artiste Jean Lurçat, signée de son frère André, ce chef-d'œuvre architectural marque l'histoire de la discipline.
Deux frères, Jean (1892-1966) et André (1894-1970). Deux immenses talents : l'un, l'artiste, tour à tour peintre, poète, illustrateur, passionné aussi de céramique et de tapisserie, ce qui le mènera à devenir l'un de leurs plus remarquables représentants en son temps ; l'autre, l'architecte, membre éminent du Mouvement moderne, au même titre que
Le Corbusier ou encore,
Mallet-Stevens.
Parler de la
Maison-Atelier Lurçat, c'est ainsi avoir l'occasion de redire l'apport indéniable que tous deux ont eu, chacun ayant marqué le XXe siècle dans leurs disciplines respectives. C'est aussi se rappeler
l'histoire du Paris des années 1920, où les différentes disciplines artistiques se croisent et correspondent, où des lieux permettant à tous de vivre et se retrouver, naissent : une éclosion d'adresses mythiques, dont indéniablement celle de la
Villa Seurat, au 101 de la rue Tombe Issoire dans le 14e arrondissement de Paris, impasse au sein de laquelle se dresse, au numéro 4, la Maison-Atelier de Jean Lurçat.
Une Maison-Atelier labellisé Patrimoine du XXe siècle
Conçue pour lui par son frère André en 1925 puis surélevée en 1929, elle est devenue la propriété de l'Académie des Beaux-Arts en 2010, suite à son legs par la veuve de Jean Lurçat. Elle est depuis gérée par la
Fondation Jean et Simone Lurçat, créée à cette occasion. Le 6 janvier dernier, l'architecte Jean-Michel Wilmotte, lui-même académicien, a été élu à sa direction pour les cinq prochaines années.
Un bel engagement pour celui qui regrettait, dans son Dictionnaire amoureux de l'architecture (Plon, 2016) qu'André Lurçat, à qui il consacre une occurrence, n'ait pas connu la même gloire posthume que ces compères du Mouvement moderne.
"Dans la France des années 1930, trois noms se détachaient qui symbolisaient l'avant-garde de l'architecture moderne : Le Corbusier, Robert Mallet-Stevens et André Lurçat (...) seul Lurçat demeure aujourd'hui, sinon inconnu, du moins largement méconnu. Ce qui est injuste." Dictionnaire amoureux de l'architecture, Jean-Michel Wilmotte, Plon, 2016.
Faisant partie des fondateurs des CIAM (Congrès internationaux d'architecture moderne) en 1929, sa notoriété était pourtant grande à l'époque. Notamment grâce à la réalisation, nous le rappelle Jean-Michel Wilmotte dans ce même ouvrage, de ces "
quelques maisons-ateliers qu'il construisit entre 1924 et 1926 dans une calme impasse du 14e arrondissement de Paris, la villa Seurat, pour des artistes comme les peintres Marcel Gromaire et Édouard Goerg, le sculpteur suisse Arnold Huggler ou encore son frère aîné, le créateur de tapisserie Jean Lurçat."
Une esthétique architecturale épurée, tournée vers sa fonction
Première des maisons construites de cet ensemble d'ateliers qui deviendra la villa Seurat, la maison de Jean Lurçat témoigne ainsi d'
une période-clé dans l'histoire de l'architecture, avec l'apparition de cette esthétique si particulière fondée sur la
simplicité, le
jeu de volumes, où tout espace est pensé pour sa finalité. Pour André Lurçat,
"le premier objet de l'architecture [était] (...) sa destination sociale",
cite ainsi
la Fondation Jean et Simone Lurçat.
Elle est aussi le début de l'aventure de ce quartier, où vivra une extraordinaire
communauté d'artistes fuyant le quartier Montparnasse devenu trop cher pour eux, pour s'installer dans ce havre propice à la création, dont l'architecture est marquée aussi par l'influence des courants qu'ils portent.
André Lurçat affirma avoir réagi au site, comme le rappelle Jean-Louis Cohen, historien de l'architecture et de l'urbanisme du XXe siècle et auteur de
André Lurçat (1894-1970) - Autocritique d'un moderne, dans un article sur le site de l'Académie des Beaux-Arts :
"une maison bâtie sur un très petit terrain dans une rue où la construction est très dense, doit tirer d'elle-même tout son intérêt puisqu'elle ne peut escompter aucune vue, ni recevoir aucun agrément des lieux environnants. Il s'agit dans ce cas de composer le plan de manière à ce que les vues, les perspectives et les jeux de lumière se développent tous à l'intérieur." (
André Lurçat, architecte projets et réalisations, Paris, Vincent, Fréal &Cie, 1929).
"Architecte-citoyen, voire architecte-militant", communiste convaincu, André Lurçat se distinguera ensuite par la réalisation de cités de logements collectifs en banlieue parisienne.
"J'aime beaucoup toutes ses interventions de cette période et notamment celles de la villa Seurat, dont la délicatesse, la modestie, gomment ce que leur modernisme aurait pu voir d'agressif." Dictionnaire amoureux de l'architecture, Jean-Michel Wilmotte, Plon, 2016.
Reste que, devenue lieu de mémoire et restée en l'état de son décor et mobilier, mais également par la richesse de son fonds d'archives, la Maison-Atelier Lurçat, témoigne de la force créative de ces deux frères artistes, de cette époque de foisonnement et de recherches. Son
ouverture au public est prévue fin 2022-début 2023, après un vaste chantier de rénovation actuellement en cours, qui permettra ainsi de (re)découvrir leurs immenses talents*.
Rien n'empêche en attendant, de se promener au sein de la villa Seurat, si emblématique de l'époque et musée d'architecture à ciel ouvert, mettant ainsi nos pas dans ceux qui eurent la chance d'y vivre et d'y créer, tels Dali, Foujita, Derain, Soutine, ou encore les écrivains Artaud, Samuel Beckett et Henri Miller, dont il est dit qu'il y écrivit au numéro 18, son fameux roman
Tropique du cancer.
Jean-Michel Wilmotte © Académie des B.A. - ph. Jean Grisoni