"La maison est la construction la plus intime et la plus révélatrice de la vie des humains. Elle constitue à ce titre, l'origine même de l'architecture et le moyen le plus efficace d'en saisir l'essence." Dès la préface du célèbre architecte japonais Tadao Ando, il est clair que l'ouvrage que l'on tient entre ses mains est de ceux qui feront date. Car "La Maison Japonaise depuis 1945", écrit par l'architecte spécialiste Naomi Pollock, n'est pas qu'un énième "beau livre", que l'on feuillette pour chercher l'inspiration : l'ouvrage paru aux éditions Parenthèses, se révèle aussi une "bible" de référence, tout à la fois livre d'histoire et de société, autant que livre d'architecture.

Entre volonté de modernité occidentale et tradition multiséculaire

Il nous invite à découvrir chronologiquement comment les bouleversements historiques et sociétaux qu'a connus le Japon depuis 1945 ont influé sur son habitat, depuis les années 40 où il a fallu "renaître de ses cendres" après le second conflit mondial, jusqu'à aujourd'hui, période des années 2020 nommée "panique pandémique," en passant par "restructuration et redressement" dans les années 50, "le miracle économique" des années 60, les "expositions et exportations" dans les années 70, "le temps de la prospérité" (années 80), "la désillusion" des années 90 "l'ascension sociale des années 2000" et enfin,"l'avènement du cool japan" des années 2010. Entre volonté de modernité occidentale et tradition multiséculaire, contraintes d'espace et bouleversements sociétaux, les architectes ont en effet rivalisé d'innovations et d'audace pour répondre au besoin d'habitats individuels au cœur des villes. L'ouvrage nous fait ainsi appréhender l'exaltation que les architectes nippons ont ressenti face au renouveau après la seconde guerre mondiale - "Chacun à sa manière avait essayé d'inventer l'architecture d'un monde démocratique, " explique Tadao Ando - mais aussi les difficultés, les désillusions, jusqu'à "l'avenir incertain" qui se présente désormais... "De ce point de vue, ce livre, qui passe en revue l'architecture résidentielle japonaise depuis 1945, compose une histoire réaliste de la société nippone d'après-guerre, vue à travers le prisme de la conception architecturale", explique l'architecte.

Une société japonaise où le modèle de la maison individuelle est roi

Une société où la maison individuelle reste reine, malgré l'exiguïté des parcelles ; où changement de propriétaire implique souvent démolition/reconstruction ; où l'innovation de formes et de matériaux est légion... Même s'il y est question d'espace, de matériaux, de formes, l'ouvrage se penche aussi sur le style de vie. "Quel style de vie menait-on dans ces habitations ?" se demande l'auteure. Elle s'attache ainsi pour chacune, à rechercher des indices concrets : interview des architectes, de leur commanditaire, des familles qui y habitent, d'experts... "Ensemble, les mots et les images incarnent l'esprit d'architecture et aident à donner vie à ces maisons", explique Naomie Pollock. Pour l'auteure, il était en effet important de "raconter les maisons de l'intérieur." Et de citer l'architecte Kazuhiro Kojima : "Quand on parle de chez soi, il n'y a pas une seule bonne réponse", Naomi Pollock ajoutant : "Ce livre montre qu'au contraire il y en a beaucoup." Cette centaine de "portraits" de maison s'enrichit enfin de "focus" historiques ou architecturaux qui décrivent les évolutions de conception sur des thématiques données (le site, le toit, la cuisine et la salle de bains, la fenêtre, les escaliers et couloirs, les cours et jardins, etc.).   Un ouvrage de référence donc, qui n'oublie pas de se projeter vers l'avenir, avec un texte évoquant les dernières tendances observées par Kumiko Inoui, qui voit apparaître la conception collaborative, l'utilisation de matériaux plus locaux, la rénovation et le réemploi, sujets ô combien de notre temps, dont les architectes japonais s'emparent également, avec autant d'opportunités d'innovations nouvelles.

"En allant au-delà du strict cadre professionnel, où il s'agit de concevoir le 'meilleur' bâtiment possible en fonction d'un budget et de conditions donnés, les architectes ont contribué à faire leur possible pour saisir, à travers leurs créations, cet avenir incertain, et ce malgré les difficultés. Les qualités les plus importantes chez un architecte ne sont pas l'intelligence et le savoir-faire, mais la force mentale et la capacité à s'accrocher à ses rêves !"

Tadao Ando, préface de La Maison Japonaise après 1945, éd. Parenthèses, 2023

Entre présence de la nature, jeux d'espace et de formes, art d'habiter traditionnel et délicatesse, audace et innovation, les architectes japonais nous dévoilent ainsi à travers ce livre, leur habilité à explorer l'architecture. Un ouvrage passionnant à s'offrir ou à se faire offrir, pour tout adepte du Japon, d'histoire, de maisons et bien sûr, d'architecture...