Un couple. Ils rient ensemble, tournés vers l'objectif. Un photomaton mythique, qui raconte par l'image ce couple qui ne l'est pas moins : les Noailles, ces mécènes ô combien essentiels, du XXe siècle. Fantasques, pétillants, découvreurs de talents, à l'œil sûr et ambitieux, ils ont été de ceux qui permettent de révéler la beauté dans tous les arts. Leur 'folie mécénale' faite d'amitiés, de bals, d'accompagnements créatifs et de soutiens financiers, d'achats et de collections, a permis à de nombreux poètes, musiciens, écrivains, cinéastes, architectes et designers d'exercer leur art en toute liberté.
Charles et Marie-Laure de Noailles, en 1929 © Photomaton. Coll. Particulière - Villa Noailles
100 ans de la Villa Noailles : une histoire d'architecture, d'art et de design
Parmi les créations qui vont vu le jour sous leur impulsion, leur villa, aujourd'hui centenaire. Nous sommes en 1923 : le vicomte et la vicomtesse Charles et Marie-Laure de Noailles, jeunes mariés, reçoivent en cadeau de mariage un vaste terrain sur les hauteurs de Hyères, dans le Var. Propriétaires d'un magnifique hôtel particulier à Paris, ils décident d'y faire construire leur maison de villégiature, baptisée le Clos Saint-Bernard, du nom de l'ancienne abbaye qui s'y trouvait à l'origine.
"Une petite maison intéressante à habiter", commandée en ces termes au jeune Robert Mallet-Stevens, qui n'est pas encore le célèbre architecte qu'il deviendra par la suite. Le Corbusier, approché, n'est finalement pas retenu par Charles de Noailles : l'architecte veut faire à sa façon, alors que le vicomte a des idées à faire valoir. Mallet-Stevens saura, lui, se mettre à l'écoute de son commanditaire**.
Jean-Pierre Blanc, directeur actuel de la Villa Noailles la décrit ainsi :
"Villa héliotrope, elle s'illumine aux premiers rayons du soleil, joue des ombres pendant la journée puis s'embrase dans le crépuscule." Depuis 2010, une partie des espaces de la villa sont dévolus à la mémoire du couple, dans une exposition permanente, ces
"merveilleuses personnes, si extraordinaires et généreuses qu'ont été toute leur vie, Charles et Marie-Laure de Noailles."
Cette petite maison moderne s'agrandit au fil du temps, devient modulable grâce à des mécanismes astucieux pour l'époque et s'équipe (
piscine intérieure, salle de squash...), pour accueillir famille et amis. Et quels amis ! Tout ce que la société d'alors, compte d'artistes : l'auteur André Gide, Jean Cocteau, les musiciens Georges Auric et Francis Poulenc, le danseur Serge Lifar, Man Ray, les cinéastes (comme Luis Buñuel qui y tournera son film qui fit scandale,
L'Âge d'or, sur un scénario de Dalí), les surréalistes... mais aussi, les architectes et designers de l'époque.
La maison en elle-même, modèle de l'architecture moderne, attire les magazines d'architecture et les gazettes d'art de vivre de l'époque. Son aménagement, du mobilier aux équipements, des objets usuels aux œuvres d'art, sont signés des plus grands : d'Eileen Gray à Jean Prouvé, en passant par Pierre Chareau ou encore Sonia Delaunay. Sans oublier l'aménagement paysager, un jardin dit "cubiste", signé Gabriel Guévrékian... Une œuvre totale assurément.
"Les meubles sont en harmonie avec une architecture dont toute l'élégance est faite de sobriété et de netteté. Dans un hôtel de Paris, les chiffonniers anciens à estampilles illustres, l'ébénisterie précieuse. Ici, la simplicité." Léon Deshairs, Une villa moderne à Hyères, Art & Décoration, juillet 1928, cité in Charles et Marie-Laure de Noailles, mécènes du XXe siècle, d'Alexandre Mare et Stéphane Boudin-Lestienne (Bernard Chauveau éditions, Villa Noailles, 2018).
Villa pour le vicomte de Noailles, Hyères, avril 1925, Robert Mallet-Stevens © Tirage colorisé par l'architecte - Villa Noailles
1925 Robert Mallet-Stevens _ villa pour le vicomte de Noailles, Hyères, avril 1925, tirage colorisé par l'architecte
Car les Noailles sont résolument avant-gardistes, ils aiment tous les arts et tous les créateurs : architecture, arts décoratifs et paysagers en font partie. Ils ont ainsi accompagné la nouvelle génération moderne qui émergeait alors, en leur permettant de s'exprimer à leur guise dans leur univers.
"Christian Zervos, alors rédacteur de la revue Les Arts de la Maison, est à notre connaissance le premier à mentionner Charles de Noailles comme un bienfaiteur de l'architecture et de l'art décoratif, est-il ainsi raconté dans l'ouvrage
Charles et Marie-Laure de Noailles, mécènes du XXe siècle d'Alexandre Mare et Stéphane Boudin-Lestienne (Bernard Chauveau éditions, Villa Noailles, 2018, page 87*). Et de le citer :
"Il est rare qu'un jeune architecte, après avoir construit une maison, soit libre d'en faire, selon ses désirs, l'aménagement intérieur. Seul (...) Charles de Noailles, fit appel pour sa maison de Hyères édifiée par Mallet-Stevens, aux jeunes architectes de plusieurs pays pour en réaliser l'aménagement intérieur et le jardin."
"Un grand nom et une grande fortune qui ne cherchent pas à se tenir sous les projecteurs de la mode et se placent au-delà, dans l'ombre où travaillent les artistes qu'ils aiment, qu'ils devinent, qu'ils approuvent et qui ne trouveraient nulle part ailleurs le moyen de s'exprimer librement." Jean Cocteau, La vie d'un poète, le Figaro, 9 novembre 1930.
D'aucuns dans la région, observant ces allées et venues d'artistes fantasques, de bals et de fêtes costumés aux thèmes étonnants, où il faut fabriquer son costume à base "
de toile cirée, papier et cartonnage" l'appellent "
la maison des fadas." Mais ce
"paquebot immobile" renferme tant ! Aujourd'hui encore, devenu centre d'art et de création, la villa Noailles perpétue cette tradition en révélant et accueillant les nouvelles générations d'artistes dans les domaines de la mode, de la photographie, du design, de l'architecture et de l'architecture d'intérieur. C'est ainsi le lieu chaque année de la
Design Parade, les festivals internationaux de l'architecture intérieure et du design, révélatrice de nombreux talents. Y sont organisés également des expositions essentielles pour qui s'intéresse à l'histoire passé et à venir de la création contemporaine.
Sur ce sujet,
ne ratez pas les expositions du centenaire ! A voir notamment,
"L'appartement de Charles et Marie-Laure de Noailles à Hyères" de l'architecte d'intérieur Pierre Yovanovitch et Eléa Legangneux (commissariat scientifique et historique) ou encore, celle sur la "
Reconstitution du mobilier de la chambre d'amis conçu par Sybold Van Ravesteyn en 1925", en partenariat avec le Mobilier national (
voir le diaporama).
En pages suivantes, découvrez quelques images d'époques de l'aménagement de la maison, ainsi que des vues des expositions de Pierre Yovanovitch et celle consacrée au mobilier de Sybold Van Ravesteyn.
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à lire :
Charles et Marie-Laure de Noailles, mécènes du XXe siècle d'Alexandre Mare et Stéphane Boudin-Lestienne (Bernard Chauveau éditions, Villa Noailles, 2018.
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à écouter :
Charles et Marie-Laure de Noailles, un couple étonnant, émission
l'Art et la Matière, France Culture, 9 septembre 2018.
Villa Noailles, 47 Montée de Noailles, Hyères
Exposition permanente sur le couple Charles et Marie-Laure de Noailles
Horaires d'été - du 24 juin au 3 septembre
Ouvert du mardi au dimanche de 14h à 20h.
Nocturne le jeudi de 15h à 21h ;
Fermeture le lundi.
Entrée libre
Charles et Marie-Laure de Noailles, mécènes du XXe siècle d'Alexandre Mare et Stéphane Boudin-Lestienne © Bernard Chauveau éditions, Villa Noailles, 2018
Le Clos Saint Bernard, dit la Villa Noailles, signée Mallet-Stevens
Villa pour le vicomte de Noailles, Hyères, avril 1925, Robert Mallet-Stevens © Tirage colorisé par l'architecte - Villa Noailles
"
Couple moderne en quête d'une architecture moderne," les Noailles s'intéressent aux nouveaux talents. Après avoir découvert l'architecte Mies Van der Rohe à l'occasion d'une exposition dans une galerie, ils pensent à le contacter. Mais celui-ci n'a pas le temps pour leur projet. Le Corbusier est également approché, mais Charles de Noailles ne s'entend pas avec lui. Le directeur du musée des arts décoratifs, M. Metman, les oriente alors vers Robert Mallet-Stevens. Ce dernier a dû abandonner son projet de villa pour le couturier Poirier. Le couple s'entend à merveille avec l'architecte, qui comprend leur envie d'une architecture tournée vers la fonctionnalité. La villa devient une parfaite carte de visite pour Mallet-Stevens qui se fait connaître. Cette petite maison moderne s'agrandit au fil du temps et devient modulable grâce à des mécanismes astucieux pour l'époque.
"Nous voici installés dans la petite maison et je tiens tout de suite à vous dire combien elle est réussie et combien nous en sommes enchantés. C'est un triomphe." Charles de Noailles à Robert Mallet-Stevens, 22 octobre 1925 (citation citée dans l'ouvrage
Charles et Marie-Laure de Noailles, mécènes du XXe siècle, éd. B. Chauvreau, 2018).
Le Clos Saint Bernard, dit la Villa Noailles, signée Mallet-Stevens
La Villa Noailles, un aménagement signé des plus grands
Salon - Clos Saint-Bernard dit villa Noailles en 1928 © ph.Thérèse Bonney, Hyères, tirage d'époque - Villa Noailles
Au cours des années 1924 et 1925, le couple s'intéresse de près aux Arts décoratifs, car ils doivent aménager leur villa de Hyères et rénover leur hôtel particulier parisien, place des Etats-Unis, est-il raconté dans l'ouvrage
Charles et Marie-Laure de Noailles, mécènes du XXe siècle(éd. B. Chauvreau, 2018). Le dialogue avec Mallet-Stevens est très constructif : il leur fait découvrir de nombreux talents de la nouvelle garde moderne : "Pour ce qui était de l'ameublement [Mallet-Stevens] nous avait signalé les artistes dont il estimait que leur goût s'associerait à son architecture (...). La plupart de ses suggestions étaient excellentes," raconte ainsi Charles de Noailles dans une lettre citée dans l'ouvrage.
Eileen Gray ou encore Pierre Chareau, par exemple, se voient confier la chambre de madame, pour la première, le salon pour le second.
La Villa Noailles, un aménagement signé des plus grands
La Villa Noailles, chambre en plein air
Chambre en plein air - Clos Saint Bernard dit Villa Noailles en 1928 © ph.Thérèse Bonney, Hyères, tirage d'époque - Villa Noailles
Cette chambre en plein air, mitoyenne à celle de Charles de Noailles, dispose d'un accès direct au jardin.
"Elle abritait les meubles en tube métallique et un lit suspendu de Pierre Chareau. Les mécanismes précis des parois coulissantes sont issus d'une collaboration avec Jean Prouvé," rappelle la Villa Noailles. Une très belle exposition intitulée
"Fragments d'architecture", de mars à mai, a donné libre court à 10 architectes actuels pour réinterpréter 10 éléments architecturaux spécifiques à la villa, dont cette chambre en plein air.
La Villa Noailles, chambre en plein air
La villa Noailles, de l'art, partout !
Sculpture de Jacques Lipchitz dans le jardin cubiste de Gabriel Guévrékian, Sculpture de Henri Laurens © ph.Therese Bonney, 1928 - Villa Noailles
Pour Charles et Marie-Laure de Noailles, tous les arts sont intéressants. Ils truffent leur villa et son jardin de nombreuses oeuvres, réalisées par leurs amis, ou commandées spécialement, comme ici, dans le jardin.
La villa Noailles, de l'art, partout !
Villa Noailles - Une reconstitution avec le mobilier national
Vue de la Chambre d'amis - Clos Saint Bernard dit villa Noailles en 1926 © SYBOLD VAN RAVESTEYN, Tirage d'époque, NAI - Villa Noailles
A l'occasion du centenaire de la villa Noailles, ne manquez pas l'exposition "Reconstitution du mobilier de la chambre d'amis" conçu par Sybold Van Ravesteyn en 1925, réalisée en partenariat avec le Mobilier national. Ici, le mobilier photographié à l'époque. En page suivante, une vue de l'exposition de 2023.
Villa Noailles - Une reconstitution avec le mobilier national