Connaître la surface exacte de sa propriété paraît essentiel et de fait lors d'un acte de transmission de propriété. Beaucoup pensent à tort que se plonger dans le registre cadastral suffit. En fait, seul le bornage, réalisé par un professionnel appelé le géomètre-expert, a force de droits. Franck Bourdon, membre de l'Ordre des Géomètres-Experts nous explique son fonctionnement.
Franck Bourdon est géomètre-expert à Noisy le Grand et membre de la commission "droit des sols" de l'ordre des Géomètres-Experts. Il nous explique ce qu'est le bornage, en quoi est-il important en tant qu'un des piliers du droit de propriété ainsi que comment et par qui il Franck Bourdon géometre expert © Franck Bourdon, géomètre-expert - DR
s'effectue. L'expert nous expliquera ensuite quand il doit être mis en oeuvre, son coût, que faire en cas de contestation et enfin quels sont les risques d'une absence ou d'un mauvais bornage.
Maison à part : Pour définir les contours de sa propriété, quelle limite est prise en compte ?
Franck Bourdon : Le grand public à parfois du mal à s'y retrouver entre les différents types de limites pouvant à priori définir une propriété foncière. On trouve ainsi :
La limite cadastrale est la limite fiscale telle que dessinée sur le plan cadastral, à une échelle comprise entre 1/500 et 1/5000 ème. Cette limite cadastrale ne peut faire foi, d'autorité et à elle seule, en matière de délimitation foncière (sauf toutefois en Alsace et en Lorraine, un héritage de l'occupation allemande).
La mission du cadastre n'a jamais été de définir précisément les limites des biens, mais de localiser des propriétés, les identifier, en faire le plan, recenser la nature du sol et des constructions qui y sont édifiées, recenser leurs propriétaires et calculer sur la base de contenances très souvent obtenues graphiquement le montant de leur imposition. Conscients des imprécisions du cadastre, les actes notariés portant sur la vente des terrains bâtis ou non, prévoient d'ailleurs dans la majorité des cas une clause indiquant clairement que
"l'acquéreur fera son affaire personnelle des écarts de superficies (ou de mitoyennetés) mentionnés dans le présent titre, même si celles-ci excédaient le 1/20."
La limite apparente est la limite physique telle qu'elle nous apparait sur place grâce à une clôture, une haie, un grillage, un mur, un ruisseau, ou un pignon de construction. Mais cette limite peut ne pas correspondre ni à la limite réelle, ni à la limite cadastrale.
La limite réelle est la limite juridique de la propriété, découlant de l'analyse des titres de propriété de chacun, des prescriptions acquisitives éventuelles, des anciens plans de bornage ou de délimitation et des signes de possession non équivoques pouvant exister. Seule cette limite, qui ne correspond pas forcément aux clôtures en place, ni au limites cadastrales, définit juridiquement le périmètre d'une propriété foncière. Le bornage est donc le droit absolu de faire fixer les limites réelles de sa propriété.
Maison à part : Justement, comment se déroule concrètement l'opération de bornage ? Son voisin peut ne pas être d'accord ?
PV bornage page 1 © Un P.V. de bornage de 1907 - FB, DR
Franck Bourdon : Depuis la date de la création du code civil (1804), son article 646 stipulant que
"Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs" n'a jamais été modifié. De par la loi, le géomètre-expert est le seul professionnel à avoir une délégation de service public pour fixer les limites d'une propriété. Il est d'ailleurs, à ce titre, également habilité pour faire modifier le plan cadastral lorsque cela est nécessaire.
Lors des opérations de bornage le travail du géomètre-expert, assermenté, consiste à arpenter les lieux, rechercher d'éventuelles anciennes bornes, étudier les titres et plans de chaque voisin, recueillir leurs dires, analyser les signes de possession et définir en son âme et conscience, en fonction d'une méthodologie et d'une hiérarchisation des preuves avérée, l'emplacement de la limite réelle séparant deux fonds contigus. Cette limite est ensuite proposée aux parties, afin qu'elles l'entérinent officiellement au travers de la signature d'un Procès Verbal de Bornage décrivant graphiquement et littéralement la limite arrêtée.
Si l'un des voisins refuse la signature amiable du Procès Verbal, le bornage devra être réalisé par la voie judiciaire car il est un droit absolu de tout propriétaire. Le juge nommera alors un Géomètre-Expert-judiciaire qui réalisera de nouveau le travail d'investigation et qui proposera au tribunal une limite de propriété à entériner sans l'accord des parties.
Notez que tout géomètre-expert est tenu de conserver ses archives un minimum de trente ans, mais que dans la réalité il les conserve systématiquement. Nombreux sont les cabinets possédant des archives de bornage centenaires, très précieuses dans de nombreux cas de rétablissement de limites. Des dispositions ordinales sont d'ailleurs prises pour la transmission de ces précieuses archives en cas de cessation d'activité.
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Quand faire effectuer le bornage ?
PV bornage page 2 et 3 © FB, DR
Maison à part : En cas de volonté de cession d'un terrain à bâtir, doit-on effectuer un bornage dès la promesse de vente ?
Franck Bourdon : Là encore la loi est précise. L'article L111-5-3 du code de l'urbanisme stipule que
"Toute promesse unilatérale de vente ou d'achat, tout contrat réalisant ou constatant la vente d'un terrain indiquant l'intention de l'acquéreur de construire un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel sur ce terrain, mentionne si le descriptif dudit terrain résulte d'un bornage."
Cette disposition, née de la loi SRU du 13 décembre 2000, informe l'acquéreur si un bornage a été réalisé ou non sur une ou plusieurs limites de la propriété qui lui est vendue. Ainsi, il pourra apprécier la précision de la superficie qui lui est annoncée, ainsi que le degré de définition de la limite le long de laquelle il envisage, par exemple, d'implanter son futur bâtiment (tout empiètement sur la propriété voisine peut en effet conduire à une démolition). Cela fait partie des obligations de descriptif lors de la vente de certains terrains à bâtir dès l'avant contrat.
Maison à part : Dès lors, à quel moment est-il obligatoire d'effectuer un bornage?
Franck Bourdon : En continuant la lecture de l'article L111-5-3, il est stipulé que
"Lorsque le terrain est un lot de lotissement(...), la mention du descriptif du terrain résultant du bornage est inscrite dans la promesse ou le contrat." Dès lors, le bornage est donc un préambule obligatoire depuis la loi SRU à la vente d'un lot de lotissement, et ce dès l'avant contrat.
Notez qu'à défaut de mention de ce descriptif issu d'un bornage dans la promesse de vente ou l'acte définitif, le code de l'urbanisme a prévu des sanctions à la fin du même article, qui peut conduire à l'annulation de la vente :
"Le bénéficiaire en cas de promesse de vente, le promettant en cas de promesse d'achat ou l'acquéreur du terrain peut intenter l'action en nullité sur le fondement de l'absence de l'une ou l'autre mention visée au premier alinéa selon le cas, avant l'expiration du délai d'un mois à compter de l'acte authentique constatant la réalisation de la vente. La signature de cet acte authentique comportant ladite mention entraîne la déchéance du droit à engager ou à poursuivre l'action en nullité de la promesse ou du contrat qui l'a précédé, fondée sur l'absence de cette mention."
Maison à part : Justement sur ce point, une réforme du droit de l'urbanisme a redéfini le lotissement...
Franck Bourdon : Tout à fait, elle a été mise en œuvre au 1er Octobre 2007. Dorénavant, constitue un lotissement toute opération d'aménagement ayant pour effet de produire ne serait-ce qu'un unique terrain à bâtir (L442-1 du code de l'urbanisme), alors qu'avant cette réforme, il n'y avait lotissement qu'à compter du 3ème lot à bâtir détaché sur une période de moins de dix ans.
Dès lors, à quelques exceptions prévues dans le code de l'urbanisme, toute division ayant pour effet de créer un terrain en vue de construire est constitutive de lotissement et devra être précédée d'un bornage des limites de propriété qui lui sont propres.
Pour découvrir la suite de l'interview et notamment savoir combien coûte l'opération, que faire en cas de contestation et quels sont les risques d'une absence ou d'un mauvais bornage, cliquez sur suivant.
Quand faire effectuer le bornage ?
Coût, constestation et risques
PV bornage fin plan © FB, DR
Maison à part : Qui doit prendre en charge le bornage et combien coûte-t-il ?
Franck Bourdon : En toute logique, étant un préambule à la vente à effectuer dès la promesse, le bornage sera généralement pris en charge par le vendeur. Tout géomètre-expert pourra lui établir un devis précis, dont le montant sera très variable en fonction de la superficie du terrain, de son encombrement ou de sa pente, de l'existence ou non de clôtures, des archives existantes et du nombre de voisins.
Lorsqu'il y a bornage amiable, sur la demande unilatérale de l'un des voisins, et dans le cadre de son projet personnel, les frais de bornage seront facturés au demandeur, qui, généralement accepte d'en supporter l'intégralité sans mettre en application l'article 646 du code civil mentionné précédemment tout à l'heure quant au partage des frais. Souvent, cette prise en charge unilatérale est même mentionnée dans le procès-verbal afin de clarifier ce point entre les parties cosignataires.
A l'inverse, en cas de bornage judiciaire, les frais de bornage et d'expertise seront partagés en application du code civil.
Maison à part : Peut on refuser de signer un procès verbal de Bornage amiable ?
Franck Bourdon : Bien sûr, c'est un droit fondamental, mais encore faut-il en apprécier les conséquences. Deux cas se présentent :
- La limite définie par le Géomètre-Expert ne vous convient pas, et vous avez des arguments que vous jugez suffisamment valables en ce sens pour devoir aller en bornage judiciaire. Le juge tranchera alors sur la recevabilité de vos arguments.
- Par contre, si vous n'avez rien contre la limite définie, mais que vous hésitez à vous engager solennellement à signer le procès verbal, il est fort probable que les conclusions de l'expert judiciaire soient les mêmes que celles du géomètre-expert intervenu en phase amiable et vous n'avez aucun intérêt à vous voir engagé dans une procédure de bornage judiciaire.
En effet, dans les deux cas, les frais afférents à la procédure, voire aux travaux déjà réalisés en phase amiable, seront répartis entre les deux riverains (qui prendront également en charge les frais de leurs avocats respectifs).
Maison à part : Quels sont les risques à acquérir un terrain à bâtir non borné ?
Franck Bourdon : Les exemples sont multiples et malheureusement quotidiens pour les géomètres-experts dont l'intervention est encore trop souvent sollicitée une fois que le mal est fait.
Coût, constestation et risques