Rénovation énergétique © Suljo
Lancée en 2016, l'initiative "Rénovons !" portée par différentes associations propose un ambitieux plan de rénovation des passoires thermiques d'ici à 2025. Le moyen : se concentrer sur les ménages en situation de précarité énergétique et mobiliser plus de 4 milliards d'euros par an pour obtenir un impact sociétal, économique et environnemental. Détails.
C'est une proposition qui pourrait être reprise par des candidats à l'élection
présidentielle, puisque la rénovation thermique du parc existant est déjà présente dans plusieurs programmes. Mais
l'initiative "Rénovons !" lancée par le CLER (réseau pour la transition énergétique), la Fondation Abbé Pierre, le Réseau Action Climat, la fédération SoliHa (Solidarité habitat) et divers autres acteurs, va plus loin. Elle chiffre les investissements nécessaires et les bénéfices attendus d'une vaste campagne de rénovation de l'habitat en France.
Sabine Bardaune, consultante Energie & utilities chez Sia Partners, dévoile : "
C'est une étude sur les coûts et bénéfices de la rénovation énergétique. Elle est concentrée sur le parc privé et ignore délibérément le parc du logement social, ou celui des résidences secondaires".
Selon les estimations avancées, la France compterait donc 7,4 millions d'épaves thermiques, classées étiquettes "F" ou "G", tandis que 2,6 millions de ménages seraient en situation de précarité énergétique. La loi de Transition énergétique a déjà fixé un objectif de 500.000 rénovations par an, dont 130.000 concernent précisément des ménages modestes. "
Mais au rythme actuel, de 288.000 rénovations par an, seules 50.000 passoires sont traitées et seulement 20.000 d'entre elles hébergent des ménages en précarité énergétique...", annonce-t-elle. En poursuivant les courbes de tendance, il resterait donc 6,6 millions de logements à rénover (-11 %) en 2025. "
Il est donc indispensable d'augmenter la cadence et d'éliminer ces passoires énergétiques. Nous proposons que le rythme atteigne les 980.000 rénovations par an en 2021, au moment du pic, et que toutes les opérations visent le niveau d'étiquette 'D' afin d'éradiquer la précarité énergétique", déclare la consultante.
Mais comment y parvenir ? En augmentant les aides publiques, telles que celles du programme "Habiter mieux" de l'Anah (qui a permis de rénover 170.000 logements), en élargissant le crédit d'impôt aux propriétaires bailleurs et en maintenant l'
éco-PTZ. "
Ainsi, nous parviendrons jusqu'à 79 % de prise en charge pour les ménages les plus modestes, contre 30 % au maximum actuellement", déclare Sabine Bardaune. La facture se monterait alors à 80 milliards d'euros sur huit ans, dont 36 Mrds € de fonds publics et 44 Mrds € à la charge des ménages. Le montant annuel des investissements publics atteint donc les 4,5 Mrds €/an : mais 3 Mrds €/an sont déjà dépensés, aujourd'hui, en aides comme le
CITE. L'effort supplémentaire à consentir serait donc de 1,5 Mrd €/an. Une somme considérable mais qui serait un investissement rentable, à long terme. "
Pour l'Etat, le temps de retour sur investissement sera de 26 ans, avec de nouvelles recettes fiscales grâce à la création d'emplois pour réaliser ces rénovations, ce qui diminuera le chômage, et grâce à l'augmentation du pouvoir d'achat des ménages qui servira en partie à alimenter la consommation. Enfin avec des économies sur les dépenses de santé dont certaines maladies sont liées au mal logement", détaille-t-elle. "
C'est une approche de long terme, sur une génération, au-delà d'une simple loi de Finances. Ce temps long est celui de l'immobilier", renchérit Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre. Du côté des ménages, le temps de retour sur investissement sera plus court, de 4 à 18 ans, selon la situation initiale. Mais les économies escomptées seront, en moyenne, de 512 €/an sur la facture d'énergie.
Des effets bénéfiques sur l'emploi, la santé ou l'écologie
Un certain nombre de bénéfices sociétaux et environnementaux sont également attendus : l'étude met en avant la création de 126.000 emplois pour mener à bien les rénovations et de 18.000 équivalents temps plein à l'issue de la campagne (en 2026 donc) grâce à la croissance économique obtenue. Des chiffres assez proches de
la dernière mouture du scénario Négawatt qui estime que 140.000 emplois pourraient être créés dans la rénovation énergétique. "
La consommation énergétique sera diminuée, d'au moins 1 milliard d'euros par an, et moins de gaz à effet de serre seront émis, de l'ordre de -12 % pour le secteur résidentiel. Quant à l'impact sur la santé, ce seront 758 M€ d'économisés par an", analyse Sabine Bardaune.
Pour la Fondation Abbé Pierre, l'initiative Rénovons ! est "
une campagne d'éradication des passoires dont le but n'est pas d'enrichir l'Etat mais que les ménages vivent mieux". Manuel Domergue rappelle : "
Ce n'est pas qu'un problème de logement, cela va au-delà, dans les causes et les conséquences. Nous avons tout intérêt à agir (...) et profiter des taux bas pour s'endetter". Pour lui, "
la gestion dans l'urgence n'est pas profitable" et face à la somme à mobiliser, il souhaite que soient pris en compte les coûts économiques et sociétaux de la précarité.
Les aides à l'énergie sont, aujourd'hui, le 2e poste de dépense du Secours Catholique Caritas, qui estime qu'en payant des factures pour chauffer des passoires énergétiques il se trouve face au tonneau des Danaïdes. Pour Bernard Thibaud, son secrétaire général, "
la transition énergétique n'est pas un luxe, c'est vital". Xavier de Lannoy, le président de SoliHa (née de la fusion des fédérations des Pact et Habitat & Développement), estime que la lutte contre la précarité énergétique "
devrait être une grande cause nationale, pour que la communauté se mobilise". Il déclare : "
C'est possible, nous avons les moyens d'accompagner dans le long terme cette politique, sans changer au gré des gouvernements".
Il restera toutefois le problème de l'identification et de l'accompagnement proprement dit des ménages en situation de précarité. Car les montants avancés dans le scénario "Rénovons !" ne compte que les travaux proprement dits. Autre question d'intérêt, celui d'un contrôle, à la fois de la qualité des interventions, afin d'atteindre les objectifs de réduction des consommations, mais également du respect par les propriétaires bailleurs de la non augmentation des loyers. Car une répercussion du montant des travaux sur leur locataire aurait pour effet pernicieux de chasser les plus modestes et de les repousser encore un peu plus dans la précarité...