La vie de chantier, Christine Brusson la connaît bien. Depuis l'âge de dix-sept ans, elle évolue dans la poussière et les gravats pour remettre en état des maisons. Une activité difficile mais qui lui a permis de s'épanouir sur le plan personnel, comme elle le raconte dans son livre, à mi-chemin entre le journal intime et le traité philosophique. Découverte.
Maison à part : Être sur un chantier : quand l'idée vous a-t-elle pour la première fois traversée l'esprit ?
Christine Brusson : Cela est difficile à dire car, à bien y réfléchir, je crois que le chantier a toujours été présent dans ma vie. Le fait d'avoir passé toute mon enfance à regarder ma mère bricoler m'a donné très tôt le goût du travail manuel. Ensuite, il y a eu une rencontre décisive avec celui que j'appelle « mon maître » qui, dès l'âge de dix-ans, m'emmena sur ses chantiers. Au début, j'y faisais le grouillot, le manœuvre si vous préférez. Je gâchais le plâtre, j'égrenais les murs, je changeais les carreaux cassés, je préparais le béton. Petit à petit, je me suis lancée dans d'autres tâches plus compliquées. Depuis, je n'ai jamais cessé de faire du chantier.
C.B : J'ai entendu cette expression pour la première fois dans les années 80. A l'époque, tout le monde l'employait systématiquement, même les fils de bourgeois qui gagnaient leur vie en rénovant des appartements au noir ! J'ai continué à l'utiliser car je trouve qu'elle véhicule bien la réalité des travaux. Travailler sur un chantier, c'est entrer dans un autre espace temps : non seulement on enfile un autre vêtement, l'habit de chantier, mais, en plus, on rentre dans un autre état d'esprit.
MAP : En tant que femme, vous-a-t-il été difficile de vous faire accepter sur les chantiers ?
C.B : Non, pas tout. Que ce soit avec les ouvriers ou les clients, je n'ai jamais rencontré de difficulté à me faire accepter. Certes ma présence sur les chantiers étonnait, moi qui étais petite et menue, mais cela s'arrêtait là. Je pense que si cela s'est aussi bien passé, c'est que j'ai toujours su rester à ma place. L'idée que les femmes sont plus fragiles que les hommes tient, selon moi, plus du mythe que de la réalité.
MAP : Lorsque l'on est novice, les compétences techniques sont-elles faciles à acquérir ?
C.B : Non, mais toute la difficulté est qu'elles ne peuvent pas être expliquées par la parole. Sur un chantier, on apprend en faisant. Au début, on fait forcément beaucoup d'erreurs mais c'est normal et puis, il n'y a pas d'erreurs irréparables. Petit à petit, on s'améliore et le geste vient naturellement.
Christine Brusson © DR
Christine Brusson sur l'un de ses chantiers.
MAP : Vous avez appris à connaître la matière. Quel est votre secret pour parvenir à la "dompter" ?
C.B : Il faut établir un dialogue avec la matière, autrement dit la considérer comme un être vivant. Lorsque l'on rebouche les trous dans un mur, par exemple, il faut s'imaginer en train de le soigner. Avec une maison, c'est pareil. Je la considère comme une vieille dame avec un passé, un présent et un avenir. Une histoire dont il faut tenir compte et qui nous interdit d'arriver en terrain conquis.
MAP : Le plâtre est un matériau souvent cité dans votre ouvrage. Pourquoi revient-il de manière aussi récurrente ?
C.B : Cela vient du fait que j'affectionne particulièrement le plâtre. C'est le matériau le plus vivant que je connaisse. Comme les fleurs japonaises qui reprennent forme lorsqu'on les humidifie, le plâtre prend vie sous nos yeux lorsqu'on lui ajoute de l'eau. Il a quelque chose d'excitant à travailler avec lui, comme une course contre la montre puisque, dès qu'il a commencé à prendre dans son auge, il se solidifie sans attendre.
MAP : Selon vous, quels éléments conditionnent la réussite d'un chantier ?
C.B : La phase la plus importante est celle qui précède les travaux. Avant de se lancer, il faut en effet prendre le temps de bien visualiser le résultat final. Cela suppose de rester quelques mois dans la maison juste pour observer les lieux : l'exposition, la lumière... Mieux vaut aussi ne pas se mettre d'échéance car le chantier est le domaine de l'imprévu. Durant le chantier, il faut aussi savoir faire des pauses de temps en temps pour réfléchir. Garder la notion de plaisir est essentiel.
MAP : Vous dîtes que le chantier vous a "sauvée". Qu'entendez-vous par là ?
C.B : J'ai eu une adolescence difficile durant laquelle je m'étais réfugiée dans une coquille. Le fait de travailler sur une tâche répétitive, d'occuper mon corps, m'a fait oublier mes idées noires. Autant dire que le chantier m'a sauvée, il m'a redonné confiance en moi, m'a permis de m'ouvrir, de me reconstruire physiquement et psychiquement. Grâce à lui, j'ai découvert que j'étais capable d'entreprendre des choses et de les réussir. Je suis convaincue que la maison devient une projection de nous. Du coup, en la rénovant, on agit sur nous-mêmes.
Le chantier en mode littéraire