Financement des collectivités : l'urgence

    Publié le 23 mai 2012 par Sébastien Chabas
    La crise financière, la raréfaction des crédits bancaires ou encore la restructuration de Dexia ont eu des conséquences sur le financement par l'emprunt des collectivités locales. Face à l'urgence, les associations d'élus ont donc poussé un nouveau cri d'alarme, mercredi 23 mai, au siège de l'AMF devant les collectivités, les banquiers et la FNTP. Et ont remis à l'Elysée et à Matignon un "appel" à la création d'une agence de financement. Décryptage.
    "Les collectivités font aujourd'hui un constat de carence : leur capacité d'investir au service de l'intérêt général est structurellement remise en cause par les ondes de choc successives nées de la crise financière de 2008, et par la raréfaction des crédits bancaires", a affirmé, mercredi 23 mai, Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF) avant d'ajouter que les réponses apportées par les pouvoirs publics, notamment via le financement par la Caisse des Dépôts (CDC) et la mise en chantier de la nouvelle banque publique dédiée (Banque postale de développement local), "ne sont pas suffisantes, ni conjoncturellement, ni structurellement".
    Face à l'urgence, les représentants des 7 associations d'élus locaux* ont remis, ce mercredi 23 mai, à l'Elysée et à Matignon un "appel"à la création d'une agence de financement des investissements publics locaux. Un geste purement symbolique et politique.

    Faire très vite

    Le texte martèle que 4 Mds € "pourraient venir à manquer", et souligne aussi que toutes les collectivités, notamment les plus petites, n'auront pas l'opportunité de se rendre sur des marchés obligataires et demande au Gouvernement de déposer dès le début de la prochaine législature un projet de loi de création de l'Agence. Une porte-parole de l'AMF nous confie : "Nous espérons maintenant que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, et le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, - qui avaient, en tant qu'élus, adhéré à l'association de préfiguration oeuvrant à la création de cette agence depuis un an aux côtés d'une soixantaine d'autres collectivités- réagissent très vite".
    Trois semaines avant les législatives, l'objectif des associations des élus est de rappeler les promesses du Parti socialiste pendant la campagne et la nécessité de "faire vite" afin que les articles de loi permettant la création d'un établissement public local capable de porter le projet puisse être voté à l'automne, soit en tant que tel, soit inclus au projet de loi sur la décentralisation. "Il faudra ensuite au minimum six mois d'instruction du dossier par les autorités prudentielles avant que l'agence puisse être opérationnelle, au mieux en septembre 2013", nous confie Philippe Laurent, maire de Sceaux et trésorier de l'AMF. D'ici là, les collectivités espèrent une nouvelle tranche d'emprunts sur les fonds de la Caisse des Dépôts dont une première enveloppe de 2 Mds € a déjà pratiquement été consommée. Par ailleurs, les collectivités souhaitant participer à l'emprunt obligataire doivent se faire connaître d'ici à la fin de la semaine.
    *L'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF), l'Association des régions de France (ARF), l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) et l'Association des communautés urbaines de France (Acuf), l'Assemblée des communautés de France (AdCF), la Fédération des villes moyennes, (FVM).
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    Financement des collectivités : l'urgence

    D'où viennent les difficultés d'accès au crédit ?

    AMF débat sur les financements
    AMF débat sur les financements © S.C. Batiactu
    Côté diagnostic, Jacques Pélissard, président de l'Association des maires de France (AMF) a dressé d'emblée, mercredi lors du débat organisé par les associations d'élus, le constat du manque de liquidité patent en 2012 : "Sur 17 Mds € de besoin de financement, le marché bancaire s'engage à fournir 8 Mds € de crédits nouveaux." Ce volume de 17 Mds € n'est pas particulièrement conséquent alors que 2012 devrait être une année d'investissements élevés en raison de son positionnement dans le cycle électoral. "L'ensemble du secteur bancaire en France apportera en 2012 environ 10 Mds € de crédits nouveaux aux collectivités locales", affirmait le ministère de l'Economie en février 2012.
    Le constat est donc clair : au lendemain de la chute de Lehman Brothers en 2008, la perte de confiance entre investisseurs et banques se traduit par une extrême rareté e la liquidité et la facturation d'une prime de risque importante lorsqu'elle existe. A l'été 2011, la crise des dettes souveraines perturbe à nouveau les marchés, faisant à nouveau craindre un "crédit crunch". En parallèle, elle précipite la chute de Dexia, en convalescence depuis 2008. "L'impact sur les collectivités locales a été immédiat, poursuit M. Pélissard. Une enquête de l'AMF et de l'AMGF en 2011 démontre la diminution de l'offre bancaire en volume et l'augmentation des marges." Le Gouvernement a alors mis sur la table une cagnotte de crédit sur fonds d'épargne de 3 Mds €, rapidement porté à 5 Mds €. De plus, la CDC aura ainsi réalisé 22,1 % des nouveaux prêts en 2011, d'après l'observatoire de Finance Active.
    La raréfaction brutale de l'accès au crédit au regard des contraintes de marché et des ratios de fonds propres imposés par les accords de Bâle 3 aux banques, ainsi que la disparition de leur prêteur historique Dexia imposent une triple contrainte financière aux collectivités : une moindre quantité de crédit, des durées plus courtes (Ndlr : 15 ans est désormais la règle) et un coût plus élevé. Même si le secteur public local représente toujours un faible risque, le temps du financement global de la section "investissement" est révolu !

    Les travaux publics en font les frais

    Conséquence : sans investissement des collectivités locales, ce sont en premier lieu les travaux publics qui trinquent. En effet, 45% du chiffre d'affaires du secteur provient des collectivités. "Les problèmes de nos clients sont nos problèmes", explique Patrick Bernasconi, président de la Fédération nationale des travaux publics.
    Et lors d'un débat organisé par la FNTP, le 15 mai dernier, sur le même thème "Crise des finances publiques, redéploiement bancaire : les collectivités locales face aux défis du financement des investissements", Laurent Amar, président de la Fédération régionale des travaux publics de Provence-Alpes-Côte d'Azur observait : "Aujourd'hui, nous n'avons aucune visibilité et des craintes pour notre activité fin 2012, début 2013." Et Philippe Dallier, sénateur UMP et maire de Pavillons-sous-Bois en Seine-Saint-Denis confirmait ce jour-là : "Les élus locaux sont prudents. Nous avons retardé certains investissements ou les étalons sur deux ans, faute de financement. Même pour trouver 1,5 million d'euros nous sommes obligés d'aller voir plusieurs banques, ce qui était impensable avant !".
    Ariane Obolansky, directrice générale de la Fédération bancaire française réagit aux observations des élus. "Les règles de Bâle III ont d'abord pour vocation de renforcer la solvabilité des banques, plaide-t-elle. D'une part en augmentant les ratios de fonds propres, mais aussi et surtout celui des liquidités. C'est cela qui provoque la frilosité des banques et leurs difficultés croissantes à prêter".
    En résumé, jusqu'à aujourd'hui, un établissement bancaire pouvait prêter plus d'argent que ce dont il disposait, c'est-à-dire que ses dépôts. C'est terminé. "Si ses clients ont déposé 100, elle ne peut prêter que 100", glisse un élu. Lorsqu'un particulier ou une entreprise sollicite un prêt envers une banque, celle-ci devient généralement sa banque de dépôt. Alors quelle est la problématique ? "Les investissements publics ne génèrent pas de dépôts, souligne Ariane Obolansky. Mais nous ne nous retirons pas pour autant. Les banques vont prêter 10 milliards en 2012." Le constat est là. Les banques prêtent moins. L'enjeu est d'anticiper un avenir "flou", au-delà des enveloppes débloquées ponctuellement par la Caisse des Dépôts, c'est-à-dire que 2 Mds € ont été distribués sur la deuxième enveloppe de 5 Mds € ouverte en début d'année 2012. "Il faut aller vers un système pérenne, nous confie Jean-Pierre Balligand, député PS de l'Aisne, membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Je ne suis pas inquiet pour les mois qui viennent. En revanche, la vraie question concerne le moyen terme."
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    Quelles solutions doivent adopter les élus?

    argent
    argent © Fotolia
    Trois solutions sont envisageables. La première ? Elle a été initiée par les collectivités elles-mêmes. Fin avril 2012, 70 communes, intercommunalités, départements et régions ont annoncé leur intention d'emprunter collectivement 1,15 Md € sur le marché obligataire. Une démarche visant à éviter le circuit bancaire traditionnel. Le Crédit Agricole, HSBC et Natixis se sont ainsi engagées à aider les collectivités à lancer cet emprunt obligataire. Affaire à suivre en septembre prochain. En attendant, ce recours n'est l'apanage que de quelques collectivités. « Il faut, d'une part, une taille suffisante et, d'autre part, des finances saines », souligne Philippe Laurent de l'AMF. Des conditions qui seront les mêmes pour la deuxième solution : la future Agence de financement des investissements locaux (AFIL). « Il ne faut pas mettre des collectivités locales de taille et d'autonomie fiscale différentes ensemble car cela ne fera que renchérir le coût du crédit », rappelle le parlementaire Jean-Pierre Balligand, membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
    La troisième solution est déjà actée, mais ne résoudra qu'une partie du problème. C'est la mise en place d'une nouvelle banque des collectivités. Celle qui devrait prendre la place de feue Dexia Crédit local, serait constituée notamment par la CDC et de la Banque postale. Ainsi, les analystes voient des pistes de financement pour sortir ainsi les collectivités de l'ornière. Sauf que le problème du financement des grands projets et des prêts à long terme ne semble pas résolu dans la mesure où Bâle III ne permet plus de transformer des prêts court terme en prêts long terme. « Cela pose d'énormes problèmes pour les investissements, par exemple dans l'eau et l'assainissement, s'alarme un élu de Gironde. Les emprunts courent généralement sur trente ans, alors que les prêts accordés ne dépassent désormais plus 10 à 12 ans.»
    La CDC pourrait jouer le rôle d'investisseur à long terme, si on lui permettait d'acheter des obligations. La mécanique est la même pour les grands projets. Attendons alors l'accord de l'Allemagne pour accepter finalement l'émission de « project bonds » européens en vue de financer les grands projets d'infrastructures...
    Découvrez en page 4, les verbatim.
    Quelles solutions doivent adopter les élus?

    Verbatim - Financement des collectivités : l'urgence

    villes
    villes © DR
    Jean-Paul Vachia, conseiller maître à la Cour des comptes et président de la formation inter-juridiction "Finances publiques locales" : "Pour l'accès aux crédits, la situation est préoccupante, alors la Cour des comptes est extrêmement attentive aux conséquences de Dexia. Et il est indispensable d'avoir une banque publique très vite."
    Antoine Gosset-Grainville, directeur général de la Caisse des Dépôts :"Cette année, les demandes de prêts des collectivités locales ont été multipliées par cinq. Et depuis septembre 2011, ce sont 10 Mds € qui ont été engagés par la CDC. En revanche, ces enveloppes ont un effet tangible, elles ont permis d'accorder l'an dernier 2.000 prêts auprès de 1.800 collectivités et 200 auprès des établissements de santé."
    François Pérol, président du directoire Banque populaire/ Caisse d'Epargne : "Le financement de collectivités ne sera plus assuré comme avant la crise car les ressources de marchés étaient abondantes, et l'accès y était facile."
    Patrick Bernasconi, président de la FNTP :
    "Je me suis très vite alerté des conséquences de Dexia, car il faut connaître les conséquences chiffrées au sein de notre secteur : 1 Md € d'investissement dans les TP représente 7.000 emplois. Et on ne fait pas des travaux pour faire des travaux. De plus, nous observons que les infrastructures en France sont en fin de vie : il manque au minium pas moins de 10 Mds euros et les travaux sont incontournables. Concernant la nouvelle banque publique, il faut reconnaître que c'est un 'machin' compliqué à faire vivre : il faut remettre l'église au centre du village, c'est-à-dire qu'il est nécessaire de la nationaliser et faire disparaître Dexia très vite."

    Daniel Delaveau, maire de Rennes :

    "Je confirme la position de la FNTP : il est vrai que les infrastructures en France nécessitent des coûts d'entretien de grande importance. Et les besoins de logements sociaux restent extrêmement forts dans nos collectivités."
    Bernard Ebenstein, maire adjoint de Limoges chargé des finances : "Nous constatons ici un resserrement de l'offre des prêts, ce qui alourdit nos possibilités financières, car l'épargne d'aujourd'hui, c'est l'impôt de demain... Et puis à l'échéance 2014, c'est la fin des mandats. Nous ne pouvons donc pas bricoler d'ici à 2014."
    Carole Sirou, président de l'agence de notation Standard & Poor's France : "Nous observons aujourd'hui que 200 collectivités en France ont déjà atteint la taille critique."
    Philippe Wahl, président du directoire de la Banque Postale : "Nous nous engageons à dégager 2 Mds € en juin prochain et 2 Mds € en fin d'année"
    Gilles Carrez, président du comité des finances locales et rapporteur de la commission des finances à l'Assemblée nationale : "Les banques doivent rester dans le jeu et obtenir les garanties Bale III. Il y a également une piste à creuser sur le financement à partir du livret A et il existe à mon avis une légitimité d'utiliser l'argent à partir d'épargne locale. De plus, si nous voulons préserver le financement, nous devons préserver la capacité d'autofinancement. Et nous devons mieux maîtriser les dépenses de fonctionnement. Côté recettes, il faut savoir qu'on a aucun espoir que les dotations progressent, d'où l'importance de la péréquation en France."
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