Alors que la difficulté à se loger s'est invitée comme l'un des principaux thèmes de campagne, le rapport de la Cour des comptes, publié mercredi 8 février, pointe de graves dysfonctionnements dans ce secteur et préconise une remise à plat complète de la programmation des logements sociaux. Décryptage et interview de Thierry Bert (USH).
Un énième cri d'alarme, venu tout droit de la rue Cambon, siège de la Cour des comptes qui a épinglé, mercredi 8 février, la dérive des finances publiques. Et en matière d'habitat, autre thème récurrent du rapport annuel de la Cour des comptes, l'édition 2012 aborde un sujet inédit. Lequel ? Les priorités géographiques du logement social.
Effectivement, la Cour entend prendre au pied de la lettre le discours sur le nécessaire recentrage géographique de la construction de logements sociaux mis en avant par le ministère chargé du Logement. Ce dernier estime, ainsi, que seuls 25% des logements sont construits dans les "zones tendues", contre 75 % sur des territoires où il n'existe pas de besoins manifestes. D'après la Cour, la principale difficulté repose sur un recentrage qui se fait particulièrement à "l'aveugle". Plus précisément, les instruments utilisés ne sont pas adaptés aux objectifs d'un recentrage de l'offre de logement social. Parmi eux, le premier concerne le
"zonage locatif social", instauré en 1977 mais qui, en dépit de son intitulé, est utilisé uniquement pour le calcul des aides personnelles au logement. En outre, le prêt locatif social (PLS) fait l'objet d'un autre zonage (zones A, B et C),
"ce qui ne favorise pas la cohérence du dispositif", soutient la Cour des comptes.
Une autre observation : le principal zonage utilisé dans le cadre du recentrage de l'offre locative sociale est toutefois, de façon paradoxale, celui du zonage locatif privé, mis en oeuvre par exemple dans le cadre du dispositif Scellier (zones A bis, B1, B2 et C). En revanche, la Cour estime que ce zonage - mis en place en 2003 (pour le dispositif Robien) et révisé en 2009 (pour le Scellier) - n'est pas du tout adapté aux enjeux du logement social. Le rapport pointe notamment un découpage "sommaire" avec, au niveau national, des
"sources d'information disponibles pour mesurer la tension, nombreuses mais dispersées, non exhaustives et souvent peu fiables." De plus, les magistrats de la rue Cambon sont formels : il manque "un outil prospectif" pour mesurer l'évolution des besoins en logements sociaux. Le rapport
cite d'ailleurs plusieurs exemples, remontés par les préfets, de zonages locaux ne cadrant pas avec la réalité du marché et sous-évaluant les tensions immobilières.
Enfin, la Cour considère que la coexistence de ces deux zonages a
"des conséquences négatives". Elle relève en particulier une absence de recouvrement, ou un recouvrement très partiel, entre les deux approches, avec des difficultés encore aggravées par les effets de frontière entre zones.
Au-delà de ce constat très mitigé sur les outils, le rapport observe également que le recentrage du logement social sur les zones prioritaires demeure encore
"insuffisant", même si la volonté de le mettre en œuvre, affichée depuis exactement 2006, est incontestable et que les premiers résultats commencent à se manifester. Selon la Cour, la réorientation des financements vers les zones les plus tendues a été "tardive", puisqu'elle se manifeste surtout à partir de 2010 et 2011. De plus, les besoins prioritaires comme le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) et le prêt locatif à usage social (PLUS) sont mal pris en compte, d'après le rapport. Et l'accroissement de la production de logements se révèle difficile à mettre en oeuvre dans les régions tendues comme l'Ile-de-France ou la Côte d'Azur, notamment en raison de la difficulté de mobilisation du foncier. Néanmoins, le rapport constate que
"le parc social de certains départements s'est développé malgré l'absence de tension selon les critères de zonage".
Forte de ces constations, la Cour propose d'adopter un zonage spécifique pour la programmation des logements sociaux, avec une révision tous les trois ans et une programmation glissante par région sur la même période.
Lire l'interview en page 2 de Thierry Bert, Délégué général de l'Union sociale pour l'habitat(USH).
Questions à l'Union sociale pour l'habitat
USH Thierry Bert délégué général de l'USH © DR USH
Questions à Thierry Bert, Délégué général de l'Union sociale pour l'habitat(USH).
Batiactu: Au lendemain de la parution du rapport de la Cour des comptes, êtes-vous satisfait du travail des magistrats de la Rue Cambon?
Thierry Bert: L'Union sociale pour l'habitat exprime aujourd'hui sa grande satisfaction à la lecture des analyses et des propositions de la Cour des comptes sur les priorités géographiques du logement social. Nous exprimons notre total accord avec les constats dressés par le rapport public sur l'incohérence et l'inadaptation des critères territoriaux de répartition des aides aux logements locatifs sociaux. Et l'USH souscrit, en particulier, à l'idée selon laquelle il est impossible, et d'ailleurs absurde, d'utiliser, pour définir les besoins en logements sociaux à loyers bas, un « zonage » destiné à orienter les investissements locatifs privés défiscalisés à loyers plus élevés (« zonage Scellier »). Nous observons à cet égard, comme la Cour, que de nombreux programmes privés défiscalisés, et tout particulièrement les dispositifs « Scellier », ont manqué leurs objectifs et déstructuré les marchés locaux, en faisant notamment monter les prix du foncier et en ne parvenant pas à loger les ménages à des prix supportables pour leurs capacités financières.
Batiactu: Quelles propositions approuvez-vous exactement de la Cour?
Thierry Bert: Nous approuvons totalement les propositions de la Cour consistant à réactualiser le zonage Hlm1 ; et à associer les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales dans une adaptation des zonages nationaux, de manière à prendre en compte les réalités concrètes des territoires et les besoins réels.
Batiactu: En revanche, que regrettez-vous?
Thierry Bert: L'USH regrette profondément que ce rapport d'une grande richesse ait été réduit par certains commentateurs à une citation d'une ligne du ministère du Logement, datant de 2009, selon laquelle '75% des logements sociaux seraient construits dans des zones où il n'existe pas de besoin manifeste'. Or, selon le tableau figurant en page 506 du rapport de la Cour, ces zones où 'il n'existerait pas de besoins manifestes' recouvrent l'intégralité du territoire français à l'exclusion de la seule zone A, c'est-à-dire uniquement Paris et l'agglomération parisienne, le littoral de la Côte d'Azur (de Hyères à Menton) et le Genevois français. C'est véritablement absurde car cette zone A représente grosso modo près 19 % de la population et 5% du territoire.
Batiactu: Enfin, la Cour propose d'adopter un zonage spécifique pour la programmation des logements sociaux, avec une révision tous les trois ans et une programmation glissante par région sur la même période. Qu'en pensez-vous?
Thierry Bert:Trois ans, c'est un peu court, à notre avis. Et il est important de régionaliser l'approche et mener une vraie programmation de logements sociaux en région, à l'identique de ce qui a été réalisé ces temps-ci, à Bordeaux.
Questions à l'Union sociale pour l'habitat