Marie-Pierre Servantie s'intéresse depuis de nombreuses années à l'architecture, l'urbanisme et la couleur. Cette architecte coloriste bordelaise défend l'harmonie des couleurs dans les villes. Interview.
Batiactu : Comment expliquez-vous le regain de la couleur dans l'architecture ces dernières années ?
Marie-Pierre Servantie : On a connu un siècle de non-couleur. En effet, les différentes guerres ont cassé la couleur et, au moment de la reconstruction sociale, il y a eu un rejet. Toutefois, les années 60-70 ont joué autour des bruns, marrons, orangé mais là encore, il y a eu rejet. Les architectes ont alors privilégié des tons «pierre» puis on a vu apparaître l'architecture fonctionnaliste, propre et blanche où les volumes et les ombres tenaient une grande importance. Dans les années 80 - 2000, on a enchaîné avec la mode du béton brut, de l'acier et du verre. Ces différentes tendances ont créé un manque, on ne pouvait pas continuer à vivre dans un monde sans couleur. Aujourd'hui, les architectes l'appliquent par touche, que ce soit sur un volume, une entrée, un porche. Toutefois, à partir de deux ou trois couleurs, il faut savoir harmoniser. La couleur est un atout en architecture, mais il ne faut pas se tromper.
Batiactu : Qu'apporte la couleur à un bâtiment ?
M.-P. S. : Dans les bâtiments publics, elle permet de créer une identité, une notion de repérage et d'esthétique. La lumière, l'objet et l'œil forment les trois éléments essentiels pour voir une couleur. Par la suite, c'est le cerveau qui l'interprète. Si la couleur influe sur le comportement humain, on peut l'utiliser partout à condition de gérer son intensité notamment en fonction des lieux. Il faut également penser à des zones de repos avec des tons plus sobres. Ainsi, des hôpitaux, des crèches utilisent des couleurs mais les niveaux d'intensité ne sont pas les mêmes, tout dépend des fonctionnalités des pièces. L'objectif est de parvenir à trouver une harmonie que ce soit pour les visiteurs ou le personnel. Concernant les logements, la couleur témoigne de l'intérêt qu'on porte aux occupants des lieux. Pour les pouvoir publics, sortir du blanc et du gris, c'est une manière de montrer leur considération, de montrer qu'on fait une action pour ses habitants.
Batiactu : Comment les industriels travaillent-ils avec les architectes sur les questions de couleurs ?
M.-P. S. : Moquettes, carrelages et revêtements sont passés à la couleur. Les industriels ont compris et proposent des gammes. Ainsi, on trouve du plexiglas, du verre, de l'aluminium coloré. Des matières qui vivent par elles-mêmes sans intervention de peinture. On sent que les industriels ont envie de faire bien.
M.-P. S. : Tout dépend des matériaux, s'ils sont pérennes ou non. L'orientation et l'implantation des bâtiments par rapport au soleil, entre autres, comptent également.
Batiactu : Qu'en est-il du phénomène de lassitude de ce genre de construction ?
M-P S : Pour les bâtiments publics, c'est un risque. Quand on ose ce genre de construction, forcément c'est un impact fort et volontaire. Mais dans ce cas, la couleur fait partie intégrante de l'identité du bâtiment. C'est lui, il est là et il est comme ça et on l'a accepté.
"Il est important d'harmoniser les couleurs", Marie-Pierre Servantie, architecte coloriste