matali Crasset © Justin Morin
Aujourd'hui célèbre, Matali Crasset a su s'imposer comme designer industriel dans un milieu majoritairement masculin. Refusant toute standardisation, elle développe des projets axés autour du partage, de la réflexion et de la flexibilité. Portrait.
Maison à part : Comment en êtes-vous arrivée au design ?
Matali Crasset : J'ai suivi des études de marketing et c'est à ce moment-là que j'ai commencé à faire du design. Nous devions faire un exercice sur un lancement de parfum. J'étais allée jusqu'à dessiner le packaging et le flacon. J'étais la seule de la classe à être allée aussi loin. Du jour au lendemain, j'ai su que c'était ce que je voulais faire. C'est comme ça que j'ai changé de direction. J'ai pris des cours à l'ENSCI (Ecole nationale supérieure de création industrielle). Et puis je suis partie en Italie pour travailler avec Denis Santachiara. Je me sentais en effet assez proche de ses produits. Après huit mois avec lui, j'ai écrit trois lettres (de motivation, ndlr), dont une à Philippe Starck.
MAP : Quels souvenirs gardez-vous de vos cinq années de travail avec Philippe Starck ?
M. C. : C'était un conte de fée. J'ai commencé à travailler avec lui alors qu'il venait de signer un contrat avec Thomsom Multimedia. Cela a été une super opportunité de travailler sur des projets pour une entreprise d'électronique. J'ai ensuite été nommée responsable de Tim Tom (design center de Tim Tom, ndlr).
MAP : Vous avez créé votre propre structure en 1998, Matali Production SARL ? Vers quel type de projets avez-vous évolué ?
M. C. : J'ai continué à réaliser des produits et très rapidement, on m'a demandé de travailler sur des scénographies et sur l'espace. Aujourd'hui, nous faisons aussi de l'architecture d'intérieur, domaine dans lequel nous travaillons plutôt sur des projets intégrant de nouvelles logiques de vie.
Le projet le plus caractéristique, et celui dont je suis la plus fière, est le Hi Hôtel à Nice. Il représente 10 années de recherche. Nous avons tout dessiné de A à Z. Il s'agit d'un hôtel exceptionnel pour les gens qui sont curieux, qui ont conscience que l'on vit avec des codes statutaires. Nous avons cassé ces codes et la standardisation des hôtels pour créer neuf concepts de chambres où l'on appelle à vivre autrement. C'est un projet sans compromis. L'idée était de redonner de l'autonomie aux gens, d'être soi et de ne pas jouer un rôle. C'est un hôtel dans lequel ont se sent rapidement confortable.
En matière de maison privée, j'ai refait une maison de vacances à Annecy, qui est un peu comme un hôtel puisqu'elle est tout le temps ouverte aux amis.
A chaque fois, j'essaie de travailler sur un projet où il y a un challenge.
MAP : Quels sont vos projets à venir ?
M. C. : En ce moment, je travaille sur un projet d'hôtel à Nesta en Tunisie, aux portes du désert. L'idée est de créer un lieu pour quelqu'un qui souhaite vivre en retraite, pour prendre soin de soi. L'hôtel sera implanté au centre même de la ville pour créer le lien et bien comprendre la ville. Pour ce projet, je travaille avec les mêmes partenaires que pour le Hi Hôtel.
Mais je continue aussi à faire du produit, avec notamment quelques projets culinaires. Je collabore notamment avec le cuisinier Pierre Hermé pour un couteau-pelle à tarte. Il s'agit d'un couteau dont on va faire tourner le poignet pour le transformer en pelle à tarte. Cela reprend la thématique de la fluidité du geste.
Pour Hélène Darroze, qui a ouvert le Boudoir à Paris - un lieu où l'on mange avec ses doigts - j'ai aussi travaillé sur un plateau-repas en Corian.
MAP : Où puisez-vous votre inspiration ?
M. C. : Lorsque je pars sur un projet, je cherche ce qu'il va apporter de plus. Dans le mobilier, j'essaie par exemple de lutter contre l'individualité et d'apporter une notion de partage.
La forme et la matière se sélectionnent ensuite d'elles-mêmes. Je veux utiliser toutes sortes de matières. Je les utilise pour leur caractéristique autour d'un projet que je suis en train de réaliser. Ce n'est pas le matériau le moteur de la création.
MAP : Vous êtres une grande voyageuse, cela vous aide pour trouver de nouvelles idées?
M. C. : Oui pas mal. Ce sont les rituels domestiques et notre rapport aux choses qui m'intéressent. Cela me permet de prendre du recul par rapport à nos modes de vie et de proposer autre chose. Il y a des pays où je me sens mieux que d'autres, où c'est un peu neuf au niveau créatif.
Lorsque je fais des workshops au Brésil, les jeunes, travaillent sur de nouvelle logiques, le terrain est vierge au niveau de la création, alors qu'en Europe, on est imprégné de références : pour les workshops, je suis obligée de mettre en place une méthodologie précise pour casser les codes.
MAP : Vous jouez beaucoup sur l'aspect ludique dans vos créations. Le fait d'être mère vous inspire-t-il ?
M. C. : J'ai toujours fait ça. Je ne fais pas de différences entre l'enfant et l'adulte. Le côté ludique permet d'expérimenter le monde qui nous entoure. En tant qu'adulte, on a besoin de ce côté. Ce que j'adore avec les enfants, c'est qu'il n'y a pas de filtre, quand on fait une proposition elle fonctionne ou pas. Les enfants sont en demande d'objets sur lesquels ils vont greffer leur propre imagination, comme il plateforme sur laquelle ils peuvent s'exprimer. Il faut créer des choses qu'ils puissent s'approprier. J'adore travailler avec eux car ils correspondent à ma façon de voir les choses.
MAP : Quel regard portez vous sur la déco aujourd'hui ?
M. C. : J'ai un gros problème avec les systèmes de couleurs, comme le chocolat. Pour moi, c'est quelque chose d'imposé, ce n'est pas accompagner les gens. L'idée est que chacun prenne ses repères. On n'a pas besoin de quelqu'un qui va nous dire de choisir telle couleur, et de mettre un rideau rouge ou vert à tel endroit. Il faut personnaliser son intérieur, prendre ses marques petit à petit, faire ses propres choix en fonction de sa personnalité et se laisser guider par ses impressions.
MAP : Alors, quel est votre style ?
M. C. : Je n'ai pas de style. Le lieu dans lequel je vis est fait par les choses que j'aime, des prototypes qui sont restés là... J'ai la chance d'habiter une vielle usine avec une petite cour intérieure. Il s'agit d'une espace qui privilégie les rencontres avec les voisins. Je travaille et je vis dans cet espace-là. Nous avons trois étages, avec des espaces tout ouverts. L'intimité est donnée par les étages : plus on va dans les hauteurs et plus c'est intime.
J'aime bien ne pas me sentir enfermée dans une configuration.
Plus d'infos sur www.matalicrasset.com