Céline Wright est une designer à part. A la croisée des chemins entre design, art et artisanat, ses créations, des luminaires en papier réalisés à la main sont une invitation à la contemplation. Curieuse de comprendre sa démarche, la rédaction de Maison à part a souhaité vous faire partager le travail d'une artiste libre qui prend sa source d'inspiration dans la nature et l'art ancestral japonais.
Maison à part : Comment êtes-vous devenue designer ?
Céline Wright : Un peu par hasard. Après des études à l'école supérieure des arts-appliqués Duperré, à Paris, j'ai débuté ma carrière en travaillant pour le créateur de vêtements pour enfants Catimini. Je m'ennuyais un peu, la contrainte industrielle a rapidement été frustrante pour moi, j'avais besoin de créer librement, je me suis donc tournée vers l'objet. J'ai d'abord travaillé pour la designer et architecte italienne Paola Navone et, après un an passé en Italie, j'ai commencé à réaliser des projets personnels en papier mâché, des choses un peu drôles comme des grosses théières.
A l'époque, la galerie parisienne qui exposait mes créations m'a demandé de concevoir des objets plus fonctionnels comme des luminaires, c'est ainsi que mes premières créations ont été présentées au salon Maison & Objet. La collection de lampes Cocon a tout de suite très bien marché et j'ai alors décidé de les éditer moi-même. L'avantage du papier est d'être une matière extrêmement légère et solide à la fois. Celui que j'utilise provient de feuilles de mûriers cultivés dans les montagnes au Japon, comme les cocons des vers à soie.
MAP : Vous souvenez-vous de votre toute première création ?
C.W : Je ne renie pas mes débuts, chaque expérience m'a appris quelque chose. Les premières véritables créations dont je me souviens et pour lesquelles j'ai été remarquée furent la lampe
Cocon suspendu et la lampe
Giboulée. Elles restent, encore aujourd'hui, des produits phares.
MAP : Y a-t-il une rencontre qui a marqué un tournant dans votre carrière ?
C.W : Mon compagnon qui est sculpteur m'a beaucoup appris. Tout comme le designer Pascal Mourgue. Son approche simple et sensuelle de l'objet me plaît. Pour lui, l'intention de départ et l'intuition sont importantes dans la conception. Un objet est beau quand il est comme un geste, lorsque l'on s'empêtre trop dans la technique et que la fabrication devient laborieuse, on perd cette intention de départ. Pascal Mourgue, lui, y est toujours fidèle.
MAP : Comment définissez-vous le métier de designer ?
C.W : Je dirais artisan-designer car je revendique l'artisanat dans mon métier. Il y a quelques années, ce mot était presque un gros-mot, il n'y avait pas de valorisation de ces savoir-faire, alors que les gens qui fabriquent ont vraiment de l'or entre les doigts, pour certains.
Je pense que le lien artisans-designers ne s'est pas fait, les écoles de design où l'on demande aux élèves de mettre la main à la pâte sont rares et c'est de pire en pire avec l'informatique. J'ai souvent eu de bons stagiaires, mais ils ne savaient pas planter un clou ! En sortant des écoles, ces jeunes designers vont finalement demander à des artisans de fabriquer des objets alors qu'ils ne savent même pas eux-mêmes comment ça marche ! J'aborde le design de manière très empirique. Pour être vraiment créatif, il faut savoir comment ça fonctionne, manipuler les matériaux, les observer et laisser une place au hasard aussi. Devant un ordinateur, il n'y a plus de place pour le hasard mais on ne sait pas comment le matériau va réagir. On ne peut pas dessiner n'importe quoi, il faut savoir comment c'est fait !
Les confidences de Céline Wright, designer
Les confidences de Céline Wright, designer - Céline Wright © Y. B
MAP : Quel métier auriez-vous aimé faire si ce n'était celui de designer ?
C.W : Sculpteur, sans hésitation ! En sculpture, on peut se permettre de réaliser des objets plus fragiles, gratuitement et sans contraintes. Le sculpteur a une liberté qu'il est plus difficile de trouver dès qu'on entre dans le circuit de distribution où certaines obligations peuvent devenir très contraignantes : le coût, la résistance des matériaux...
J'ai créé mon entreprise pour être libre mais je crois que l'on peut l'être encore plus si l'on n'est pas obligé de vendre ses créations pour vivre. Pour le moment on me sollicite en tant qu'artisan designer mais pas forcément comme sculpteur alors que je me situe entre les deux, j'aimerais réaliser des projets plus monumentaux.
MAP : Quelle est votre devise ou quelle serait-elle si vous deviez en avoir une ?
C.W : Etre libre!
MAP : Quel est le projet dont vous êtes la plus fière ?
C.W : Je suis assez fière de l'ensemble de mon parcours. Etre à la fois artiste, designer et chef d'entreprise n'a pas toujours été facile, c'est d'ailleurs encore aujourd'hui un vrai défi. Notre entreprise a passé un cap, je suis désormais entourée de gens plus professionnels, chacun dans leur domaine : le chef d'atelier et son équipe, la directrice commerciale et mon frère, qui a aussi insufflé une rigueur au sein de l'entreprise. Le travail de ces personnes me laisse plus de temps pour créer et je suis fière de cette liberté-là.
MAP : Y-a-t-il un projet un peu fou que vous rêvez de réaliser ?
C.W : J'aimerais faire du Land Art, j'admire le travail d'artistes comme Guiseppe Penone ou Andy Goldsworthy. Pour moi, les objets doivent être vivants, mes créations viennent de l'extérieur et j'ai envie de les libérer ! (
rires). Je souhaiterais réaliser des installations extérieures comme faire flotter des nuages pour des événements tels que la nuit blanche par exemple (
ndlr : une manifestation artistique annuelle et nocturne qui se tient une fois par an à Paris).
MAP : Quel est l'objet dont vous auriez aimé être la créatrice ?
C.W : Il n'y en a pas, il y a des artisans-designers dont j'adore le travail comme Ernst Gamperl qui réalise des sculptures sur bois tourné. Je trouve très bien que d'autres réalisent des créations qui me plaisent, cela met un peu de souffle, ces gens m'inspirent dans mon parcours, j'ai du respect et de la reconnaissance pour ces artistes, ils sont des moteurs de vie !
Les confidences de Céline Wright, designer
Les confidences de Céline Wright, designer
Les confidences de Céline Wright, designer - Céline Wright
Quelle est la création idéale pour vous ?
C.W : Elle doit avoir du sens, être vraie et ne pas tricher. Personnellement, je n'en ai jamais assez, c'est aux autres de dire si j'ai atteint un objectif à travers mes créations mais je pense que ce qui compte, c'est d'être juste. J'adore Jean-Sébastien Bach par exemple, et je pense qu'il a atteint quelque chose à travers sa musique, une sorte d'absolu, de pureté que je recherche moi aussi lorsque je créé.
MAP : Si l'une de vos créations pouvait parler, qu'aimeriez-vous qu'elle vous dise ?
C.W : Ce qui me fait le plus plaisir, c'est quand les gens me disent : "
Quand j'allume ma lampe chez moi, elle m'apaise et me fait du bien". J'ai alors l'impression qu'ils perçoivent ce que je recherche lorsque je réalise mes luminaires et ça me touche. Je ne sais plus qui a écrit cela mais il y a une phrase qui me revient tout le temps à l'esprit : "
Ô temps ! suspends ton vol... ", Dans mes créations, il y a quelque chose de cet ordre- là, tout s'arrête mais la vie est là.
MAP : Considérez-vous votre art comme de l'art ?
C.W : Non, je ne l'ai justement jamais considéré comme de l'art, je n'aime pas le snobisme de l'art. Je préfère l'approche artistique japonaise. Dans cette culture, chaque objet du quotidien est propice à l'art.
Lorsque j'étais à l'école supérieure des arts-appliqués Duperré, je pensais à m'inscrire aux Beaux-Arts mais, j'avais dans mon entourage des artistes dont j'admirais le travail mais dont les toiles finissaient par s'entasser dans le grenier, cela ne menait nulle part. Vivre de son art est très difficile et je trouve dur qu'un pays comme le nôtre donne si peu de place à la culture alors qu'elle fait partie de ce qu'il y a de plus précieux. On valorise aujourd'hui beaucoup plus un métier comme trader en bourse, une façon abstraite de faire de l'argent et qui n'a aucun rapport avec le travail, c'est simplement une espèce de bulle qui nous saute à la figure régulièrement, c'est très regrettable.
MAP : Vos créations sont-elles un vecteur d'engagement, un outil pour faire passer un message ?
C.W : Oui, notamment par rapport à l'artisanat et à l'écologie, bien que ce n'était pas mon objectif au départ mais il l'est devenu. J'espère revendiquer cet engagement dans mes créations, réalisées en papier, avec des arbres provenant de cultures et non de la déforestation.
Les confidences de Céline Wright, designer
Les confidences de Céline Wright, designer
Les confidences de Céline Wright, designer - Céline Wright
MAP : Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
C.W : Il y a d'abord les Designer's Days, du 31 mai au 4 juin (
ndlr : l'association Designer's Days propose à différents créateurs de se mettre en scène dans différents lieux de la capitale : showrooms, magasins, écoles, musées et galeries). Le thème de cette année, Identités, me plaît particulièrement, je suis moi-même mixte, mon grand-père est algérien, mon père anglais et j'ai eu l'occasion de vivre en France mais aussi en Angleterre et au Japon.
A l'occasion des Designer's Days, je réalise une scénographie avec mes luminaires et plein de petits bouts de papier accrochés au plafond. L'idée est que les visiteurs interviennent et participent à la scénographie, qu'on la fabrique ensemble. Pour cela, j'aimerais qu'ils inscrivent sur ces bouts de papier d'où ils viennent, quel est leur parcours et ce qu'ils font dans la vie. Toutes les identités vont ainsi se mélanger et aboutir à un reflet de la société.
Et puis, il y a une exposition personnelle le 20 avril, à la maison de l'artisanat de Millau, dans le sud de la France. C'est une exposition à laquelle je tiens beaucoup car je la réalise avec un tourneur sur bois du Larzac, un monsieur qui milite, avec beaucoup d'autres, pour une société plus solidaire. J'ai vu de très belles expositions à Millau mais je pense justement que les artisans ne sont pas assez designers. Les écoles ne forment pas pour que l'on soit à la fois un créatif et un artisan, ce ne sont souvent pas les mêmes personnes.
MAP : Un dernier mot à ajouter en guise de conclusion ?
C.W : Je tiens à remercier les gens qui m'entourent car ma démarche n'est pas facile, c'est ambitieux de vouloir être éditeur de ses propres créations ! Je suis reconnaissante envers tous les gens qui nous portent, sur les salons et lors d'expositions, lorsque les gens me disent que mes œuvres les touchent, ça me touche aussi et c'est encourageant.
Découvrez quelques-unes des créations de Céline Wright en pages suivantes.
Les confidences de Céline Wright, designer
Prendre place - Les confidences de Céline Wright, designer
Prendre place - Céline Wright © Virginie Perocheau
Prendre place - Les confidences de Céline Wright, designer
Que cherchez-vous?
Que cherchez-vous? - Céline Wright © Virginie Perocheau
Après une phase "cocon", la designer expérimente désormais des formes plus géométriques.
Que cherchez-vous?
L'art du papier
L'art du papier - Céline Wright © Virginie Perocheau
Le papier japonais est fabriqué à partir de divers végétaux, le papier le plus commun est le kozogami, car sa fibre, issue du mûrier, est dense et résistante.
L'art du papier
Jeu stellaire - Les confidences de Céline Wright, designer
Jeu stellaire - Céline Wright © Virginie Perocheau
Jeu stellaire - Les confidences de Céline Wright, designer
L'inspiration de la nature
L'inspiration de la nature - Céline Wright © Jean-Louis Leibovitch
Toutes les formes se trouvent d'abord dans la nature...
Le cocon est le thème phare de Céline Wright, celui qui l'a fait connaître auprès du public.
Ici, le modèle
Nid.
Le papier dont se sert la designer provient des mûriers cultivés dans les montagnes du Japon.
L'inspiration de la nature
Elégance et finesse
Elégance et finesse - Céline Wright © Jean-Louis Leibovitch
Pétale
Juste ce qu'il faut, là où il faut...
Elégance et finesse
Dans les nuages
Dans les nuages - Céline Wright © Jean-Louis Leibovitch
Cumulus
Céline Wright a toujours travaillé de manière intuitive,une intuition qui se retrouve dans ses créations et interpelle les gens.
Dans les nuages
Formes évocatrices - Les confidences de Céline Wright, designer
Formes évocatrices - Céline Wright © Jean-Louis Leibovitch
Dodo
La poésie que dégagent les créations de Céline Wright évoque la quintessence de la culture traditionnelle japonaise : tout est art, tout est poésie.
Formes évocatrices - Les confidences de Céline Wright, designer
Une diva - Les confidences de Céline Wright, designer
La designer et sa nouvelle création :
Diva
Au Japon, l'art du papier (washi) fait partie des arts traditionnels et est toujours utilisé dans beaucoup d'objets du quotidien (portes coulissantes, vêtements, documents d'état officiels) ou pour des coutumes plus traditionnelles (origami, éventails, boîtes à thé, poupée).
Une diva - Les confidences de Céline Wright, designer