Que ce soit sur le plan artisanal ou industriel, jamais le papier n'aura tant été exploité. Mais que savons-nous vraiment de ce matériau ? De ses propriétés, de sa fabrication et de ses usages ? Eclaircissements avec Elodie Ternaux, co-directrice de MatériO*.
Maison à part : Le papier prend une place de plus importante dans l'univers de la décoration. Avec lui, on fabrique des sets de tables, des paravents, des stores et bien sûr des luminaires. Selon vous, pourquoi revient-il actuellement autant sur le devant de la scène ?
Elodie Ternaux : La papier est un matériau à la fois simple, peu coûteux, facile à obtenir et qui offre une grande diversité d'aspects, de textures, de couleurs... Par ailleurs, il semble parfaitement combler les attentes des créateurs qui se tournent vers un certain minimalisme, vers une vraie simplicité sophistiquée, vers l'intervention intelligente à partir de matériaux basiques ou la re-découverte de savoir-faire ancestraux.
MAP : Chez MatériO vous recensez les matériaux au sein d'une matériauthèque. Quelle place y occupe le papier ?
E. T : Le papier constitue, avec le carton, l'une des dix familles de notre matériauthèque. Comme nous ne nous intéressons qu'aux matériaux innovants émergents, tous les papiers classiques et les papiers dits de « création » n'y figurent quasiment pas, à l'exception de certaines références très particulières comme des calques très solides ou fluorescents et des papiers au toucher soft ou mouillé. En fait, chez MatériO, vous ne trouverez qu'une offre complémentaire.
Elodie Ternaux, co-directrice de MatériO © MatériO
Elodie Ternaux, co-directrice de MatériO.
MAP : Et de combien de papiers différents se compose cette offre ?
E. T : Vous dire combien est presque impossible ! Nous possédons une base de données de 5.000 industriels implantés dans le monde entier et plusieurs centaines d'entre eux proposent des produits papiers avec des usages très divers. Il y a des papiers super-absorbants issus de l'univers médical, des papiers enduits anti-corrosion, des papiers indéchirables, des papiers numériques, des papiers hydrosolubles, des papiers thermo ou photochromes, des papiers magnétiques, des papiers japonais incroyablement légers, des papiers laqués, des papiers transparents. Certains sont fabriqués à partir de fibres d'ananas, de bambou et même d'algues de la lagune de Venise, tandis que d'autres sont élaborés à partir d'extraits de fruits... C'est pour dire à quel point la diversité est grande !
MAP : On dit souvent que le papier est un matériau complexe. Selon vous pourquoi ?
E. T : Cela vient probablement du fait que sa fabrication comprend de nombreuses étapes : le malaxage pour obtenir la pâte de papier, l'orientation des fibres, la compression de la pâte, le séchage... Autant d'opérations qui sont, vous en conviendrez, plutôt complexes à réaliser !
MAP : Etes-vous au courant de recherches qui seraient actuellement menées sur ce matériau tant sur le plan de sa fabrication que de sa mise en œuvre ?
E.T : Beaucoup d'efforts sont faits à l'échelle industrielle pour réduire les impacts environnementaux de sa fabrication. L'
industrie du papier qui, au départ est assez gourmande en eau, en énergie et qui utilise beaucoup de produits chimiques, notamment pour le blanchiment, a fait beaucoup de progrès sur la question. D'une manière générale, le papier est un matériau qui se renouvelle sans cesse. Il peut d'ailleurs être fabriqué à partir d'une très large palette de fibres : bois, plantes, fruits, chiffons de textiles...
MAP : Certains "nouveaux" matériaux s'inspirent-ils de lui, de son aspect, de ses propriétés ?
E.T : Oui, je sais par exemple qu'il existe des
dalles de béton ayant l'aspect d'un papier froissé, une texture étonnante utilisée pour habiller des façades des bâtiments. Mais il doit certainement y avoir d'autres exemples !
siege bobine elise fouin © CSI/Michel Lamoureux
Siège bobine, création d'Elise Fouin.
MAP : Quand on évoque le papier, on passe forcément à l'origami. De quelle autre manière peut-il être mis en œuvre ?
E.T : Il est vrai que dans l'univers du papier, le pliage est roi. Mais il existe bien d'autres manières de le mettre en œuvre : le papier se colle, se coupe, se coud, se tresse...
MAP : Certains designers et industriels s'approprient le papier pour en faire des objets résolument design. Pouvez-vous citer ceux qui en font une utilisation spécifique ?
E.T : Je pense au travail d'Elise Fouin, aux créations de Molo Design, aux projets en papier et carton chez Moooi par Studio Job, aux pliages savants de Vincent Floderer. Là encore, il y aurait encore plein d'autres exemples à citer !
MAP : Tous semblent faire du papier ce qu'ils veulent mais pourtant cela reste un matériau fragile. Comment parviennent-ils à contourner cet inconvénient ?
E.T : En fait, le papier n'est pas si fragile qu'il en a l'air. Il fait preuve d'une résistance mécanique étonnante par rapport à son poids et, selon l'agencement des fibres, il supporte la pliure répétée sans se rompre immédiatement. Des qualités insoupçonnées qui expliquent les nombreuses et diverses utilisations qui en sont faites.
*MatériO est un service professionnel indépendant de veille sur l'innovation dans le domaine des matériaux et des technologies.