portrait Francesco Passaniti beton © PP-MAP
L'esthétique du béton
Devant son succès actuel, le béton, ce mal aimé, tient-il aujourd'hui sa revanche ou assiste-on à une révolution ?
Je ne pense pas que l'on puisse parler de revanche. C'est une évolution naturelle. Au départ, le béton n'était pas fait pour ce qu'on en fait maintenant, même s'il reste le matériau le plus employé en construction. Dans la conscience collective, il est associé à des choses grises, froides et austères. Sa mauvaise image est due au fait qu'il permettait à l'époque une construction rapide et économique. L'esthétique du béton est née il y a seulement une dizaine d'années.
Maintenant c'est à la mode, mais il y a 5 ans, en ouvrant un magazine de décoration par exemple, il n'y avait rien sur le béton. Il fallait se battre pour que cela change. J'y ai investi toute mon énergie et mon argent. Aujourd'hui, je revendique dans cette industrie une part du succès du béton domestique : je pense être pour beaucoup dans l'image positive actuelle du béton. J'ai commencé mes recherches il y a 15 ans, de façon marginale. Quand j'ai constaté certaines choses, je les ai confiées à Lafarge et les ingénieurs ont commencé à travailler. Aujourd'hui, les cimentiers eux-mêmes ont compris que pour changer l'image du béton envers le public, il fallait plus communiquer sur un lavabo ou une baignoire que sur une architecture spécifique.
Un "amour-haine" pour le béton
Quelle est votre relation au béton ? Vous avez parlé d'amour-haine...
Amour c'est évident : c'est vraiment une passion. Mais c'est un matériau très technique. Je n'ai pas une connaissance scientifique : tout ce que je sais du béton j'ai du l'apprendre et quelque fois à mes dépens ! Il m'est arrivé de faire des moules pour lesquels je travaillais pendant 4 ou 5 jours et les pièces étaient ratées, par ignorance de certaines choses. Là c'est la haine qui ressort ! Même si de l'échec, on apprend toujours ! La haine survient notamment lors du travail sur les sols. Pour les faire, il y a une méthodologie à respecter liée à l'anticipation du déplacement du béton. Si on est capable d'anticiper, on prévient la fissuration. Le problème c'est que, contrairement aux données connues affirmant que le béton atteint 70 % de sa résistance au bout de 7 jours, et 100% à 28 jours, il y a en réalité une réserve qui n'est pas vraiment quantifiable. Le béton continue de travailler bien après. Personne ne maîtrise ce phénomène : on revient un matin et le béton est fissuré. C'est la première pathologie et la première déception.
On entend dire que c'est le côté industriel, la projection sur le loft, etc. Mais je pense que cet amour du béton vient plus du fait que c'est un minéral. Or, le minéral est l'environnement naturel de l'homme : c'est la raison profonde qui explique pour moi son succès. Après on y voit un matériau pour les espaces dénudés, épurés, etc. On dit que c'est un matériau qui prête au minimaliste : c'est du blabla ! Les premiers travaux ont été simples parce qu'on ne savait pas faire autrement ! En le maîtrisant techniquement rien n'empêche maintenant de faire du baroque ou lui faire prendre des empreintes de tissu, de cuir, de bois... Je peux en faire ce que je veux, comme y introduire de la fibre optique.
Justement d'où vient cette idée d'introduire de la fibre optique dans le béton ?
En 1990, j'ai ouvert une galerie rue des Rosiers. Pour le sol, j'avais mis du terrazzo dans lequel j'avais incorporé des billes de verres contenant de la fibre optique. De là m'ai venue l'idée de le mettre dans un meuble, une table. Et le succès est venu... Cela a fait naître également l'idée du béton translucide. La fibre optique, c'est un conducteur : soit on la conduit à une source lumineuse artificielle, soit on la laisse traversante.
La revanche de la matière
La revanche de la matière est là ! Il fallait trouver un système pour gérer le poids de ce mobilier en béton. Et c'est l'arrivée des bétons haute performance qui a tout changé. Le fait pour le béton d'être fibré crée une structure interne, donc il n'y a plus besoin d'enrobage pour faire des objets domestiques, comme il n'y a plus d'acier. On diminue l'épaisseur donc le poids, et ce n'est pas poreux ! Une table de 350 kg passe à 150 ! Pour moi ça a été quelque chose de très important, d'autant plus que les super plastifiants qui servent au coulage permettent maintenant d'accélérer la prise. Avec la haute performance, on peut désormais démouler dès le lendemain : c'est un gain de temps considérable.
C'est évident que de nouvelles choses vont arriver, c'est juste une question de temps. On a déjà vu apparaître la transposition photo sur le béton. On a également réussi à faire des peintures phosphorescentes...Pour les objets, aujourd'hui on procède avec des moules fermés aux parois très fines que l'on coule par aspiration. Toutes les faces du moule deviennent des peaux finies. On peut leur donner la forme et l'empreinte qu'on veut. Au point de vue résistance, on progresse également... C'est un matériau en perpétuelle évolution !
Côté imagination et fantaisie je ne suis pas en manque ! Je suis un chercheur. Je rêve d'avoir suffisamment d'argent pour continuer mes recherches ! Aujourd'hui il y a beaucoup de pièces uniques, mais les choses sont en train d'évoluer. Avec le BHP, les séries vont être possibles. Le mobilier béton fera son entrée dans la distribution. J'ai envie que le béton devienne banal dans le design. C'est l'idée de chaque designer : on aime bien faire les choses pour soi mais on est très heureux de pouvoir donner cette émotion aux autres. C'est le sens de notre travail.
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