Matali Crasset, figure emblématique du design français, a accepté de recevoir Maison à part dans les locaux de son agence parisienne et de se plier, avec la simplicité qui la caractérise, à l'exercice de l'interview. Ses aspirations, ses convictions, ses doutes... Elle se dévoile en toute franchise.
Maison à part : Qu'est-ce qui a fait que vous êtes devenue designer ?
Matali Crasset : Cela s'est fait assez tard puisque je me suis orientée vers le design alors que j'avais déjà atteint le niveau Bac + 3. Après l'obtention de mon diplôme, je m'étais laissée porter, sans avoir de conviction, dans une formation en marketing, jusqu'au jour où j'ai eu un déclic. Dans le cadre de ce cursus, je me suis retrouvée à travailler sur le lancement d'un parfum. Nous devions à la fois dessiner un flacon et imaginer son packaging. C'était la première fois que je devais matérialiser une idée en quelque de chose de concret. Le projet était complexe et cela m'a énormément plu. Du coup, j'ai bifurqué vers l'ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle) de Paris.
MAP : Vous souvenez-vous de votre toute première création ?
M. C : Oui, d'ailleurs ce n'est pas difficile puisqu'elle se trouve encore actuellement dans mon agence ! Il s'agit d'un meuble conçu pour abriter à la fois une chaîne hi-fi et des CD. La chaîne est encerclée par les CD qui sont disposés tout autour d'elle. L'ensemble est caché par une façade en caillebotis agrémentée d'une niche prévue pour exposer le CD en cours d'écoute. En regroupant matériel et musique dans un même écrin, l'idée était de mélanger le "hard" et le "soft", c'est-à-dire de rapprocher la technique du monde artistique.
MAP : Y a-t-il une rencontre qui a été déterminante au début de votre carrière ?
M. C : En réalité, il n'y en a pas eu une mais plusieurs. Lorsque mon goût pour le design s'est réveillé, je suis partie à Berlin. Ce voyage m'a permis de rencontrer les figures de l'avant-garde berlinoise. Designers et artistes de différents horizons se côtoyaient et travaillaient ensemble. Cela m'a ouvert les yeux sur le fait que le design pouvait prendre de multiples visages, se nourrir de diverses inspirations. Bref, j'entrevoyais d'autres possibilités de configurer le design industriel qui, à l'époque, était encore formaté par la philosophie du Bauhaus.
M. C : Pour moi, être designer, c'est d'abord observer le monde qui nous entoure et, ensuite, faire des propositions spécifiques pour restructurer, reconfigurer, faire bouger les choses. De mon côté, j'essaye d'intervenir par petites doses homéopathiques, en amenant de l'optimisme, du ludique, tout en restant en prise directe avec la vie quotidienne.
MAP : Quel métier auriez-vous voulu faire si cela n'avait pas été celui-là ?
M. C : J'ai récemment découvert le métier d'anthropologue et je le trouve fascinant. Le métier de jardinier m'attire également. Il y a dans le monde du végétal une telle richesse que chaque jour doit offrir son lot de découvertes. C'est important lorsque l'on fait un métier qu'il nous nourrisse au quotidien, qu'il nous enrichisse sur le plan personnel et, bien sûr, humain.
MAP : Quelle est votre devise dans la vie ?
M. C : Je ne fonctionne pas avec des devises. Je souhaite juste continuer à faire ce que je fais actuellement le plus longtemps possible. Je n'ai jamais cherché à orienter ma carrière et souhaite que cela continue comme ça.
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En aparté avec... Matali Crasset, designer
En aparté avec... Matali Crasset
Matali Crasset - Permis de construire © MAP
MAP : De quel projet êtes-vous la plus fière ?
M. C : Je suis fière de tous les projets que j'ai réalisés jusqu'ici. Après, il y en a certains qui marquent des étapes importantes, de nouveaux axes de réflexion dans mon travail de designer.
Avec la radio
"Sound Station", par exemple, ce qui est intéressant c'est que l'on sort de la traditionnelle boîte noire. Avec la colonne d'hospitalité
"Quand Jim monte à Paris", qui se présente sous la forme d'une armoire en feutrine renfermant un paravent et un matelas en mousse, on propose un nouveau concept de couchage d'appoint.
Avec mon tout dernier projet, enfin, le Dar Hi, hôtel implanté aux portes du désert tunisien, c'est encore autre chose : on part d'une page blanche et l'on cherche à faire dialoguer l'architecture contemporaine avec des éléments de la culture traditionnelle tunisienne.
MAP : Y-a-t-il un projet un peu fou que vous rêvez de réaliser ?
M. C : Dessiner la tour la plus haute du monde, repousser les limites, ne m'intéresse pas ! Ce qui m'intéresse, c'est rester à l'échelle humaine, c'est rencontrer des gens qui ont des envies dans des contextes particuliers et tout mettre en œuvre pour les assouvir. J'aime faire des choses singulières et travailler avec des gens qui aiment prendre des risques.
MAP : Quel est l'objet dont vous auriez aimé être la créatrice ?
M. C : Je vais avoir du mal à répondre car je ne suis pas du tout fétichiste ! Après, bien sûr, je ne vais pas vous dire que je reste insensible devant les créations d'Oscar Niemeyer ou de Joe Colombo mais je n'aime pas m'en tenir à l'objet. J'aime aller voir qui se cache derrière et voir comment l'œuvre est connectée avec l'homme.
M. C : Dire d'une création qu'elle est idéale me paraît difficile voire impossible, car cette notion est très subjective. Idéale par rapport à quoi ? A qui ? Cela n'a pas de sens et c'est même dangereux, car cela suggère une notion d'uniformisation. Or, ce qui fait la richesse du design français, c'est justement sa diversité. Il faut mettre l'accent sur les différences au lieu de chercher à trouver des points communs entre les créations.
MAP : Si une de vos créations pouvait parler, qu'aimeriez-vous qu'elle vous dise ?
M. C : Je ne suis pas vraiment sûr que l'on ait envie qu'elle nous parle ! A bien y réfléchir, mes objets ne sont pas bavards dans le sens où ils ne sont pas « bling bling », ils restent à leur place, profondément ancrés dans le quotidien. Mon travail est basé plus sur le ressenti que sur les mots.
Suite et fin de l'interview en page suivante.
En aparté avec... Matali Crasset
En aparté avec... Matali Crasset
Dar Hi - Matali Crasset © Dar Hi
MAP : Considérez-vous votre art comme de l'art ?
M. C : Non, mais ce n'est pas pour autant que je ne peux pas faire d'incursions dans le monde de l'art. Etre designer n'a rien d'incompatible avec le fait de réaliser un projet artistique. Pour preuve, il m'arrive de réaliser des pièces pour la galerie parisienne Thaddeus Ropac. Bien sûr, le travail est différent de ce que je fais d'habitude - on est sur de la haute facture et de la petite série - mais il me plaît autant. Au fond, la démarche des artistes n'est pas si éloignée ce celle des designers. Dans les deux cas, il s'agit de matérialiser, à un moment donné, une approche personnelle. On manie les mêmes ingrédients mais, selon comment on les dose, comment on les hiérarchise, la pièce devient soit une création, soit une œuvre d'art.
MAP : Votre métier, un vecteur d'engagement, un outil pour faire passer un message ?
M. C : Bien sûr que c'est un vecteur d'engagement ! A travers un objet, on peut arriver à suggérer un scénario de vie, à fédérer les gens. Et lorsque l'on travaille sur l'espace, cela amène à se poser beaucoup de questions qui ont un impact direct sur la société : la cohabitation, le partage, etc.
La force des designers est de pouvoir s'introduire dans les interstices pour faire le lien entre les éléments défaillants et redonner de la cohérence à notre monde. Nous sommes à la genèse de beaucoup d'idées, simplement le problème c'est que nous ne les formulons pas toujours aux bonnes personnes. En fin de compte, notre véritable savoir-faire, c'est notre système de pensée. En Europe, c'est presque d'ailleurs la seule force qu'il nous reste.
M. C : Le projet du Dar Hi se poursuit avec la rénovation de la palmeraie dans lequel il est implanté. Par ailleurs, un certain nombre de créations, notamment pour Alessi avec qui je continue à travailler, devraient être dévoilées à partir du mois de Janvier. Récemment, nous avons aussi imaginé une nouvelle signalétique pour l'abbaye de Fontevraud, monument historique situé en Loire Atlantique, et, parallèlement, nous continuons à faire de la scénographie. On nous a d'ailleurs confié la mise en scène d'une exposition organisée à Miami à l'occasion de la Foire annuelle d'Art contemporain, Art Basel Miami Beach. Le projet était très intéressant puisqu'il s'agissait d'une rétrospective du design du milieu du 20ème siècle à nos jours.
Pour savoir un aperçu des différentes réalisations et créations de Matali Crasset, cliquez en pages suivantes.
En aparté avec... Matali Crasset
Hi Hôtel - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Hi Hôtel Matali Crasset © Hi Hôtel
2003 : Matali Crasset repense le Hi Hôtel à Nice. Elle imagine 9 concepts de chambres différents. Chaque concept repose sur une organisation particulière de l'espace, à vivre et expérimenter.
Hi Hôtel - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Hi Hôtel - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Vue du Happy Bar, le bar du Hi Hotel, établissement situé à Nice entièrement repensé par Matali Crasset.
Hi Hôtel - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Hi Beach - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Hi Beach Matali Crasset © M. Crasset
Juin 2008 : Cinq ans après le Hi Hôtel, Matali Crasset dessine la Hi Beach, la plage de l'établissement. Destiné au grand public, cet espace balnéaire entend
"renouer avec la simplicité des plaisirs de la plage et du bord de mer".
Retrouvez plus d'informations en cliquant
ici.
Hi Beach - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Les essentiels pâtisserie
Matali Crasset © Bernard Winkelmann, ALessi
Janvier 2010 : Matali crasset s'associe à Pierre Hermé pour imaginer une pièce pour Alessi : les essentiels de pâtisserie, une collection d'outils pour la pâtisserie
Les essentiels pâtisserie
Pop Space - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Espace Loggia - Matali Crasset © Espace Loggia
Mai 2010 : Matali Crasset signe "Pop Space" pour Espace Loggia, une structure évolutive destinée aux enfants, depuis leur plus jeune âge jusqu'à leur adolescence.
Pour en savoir plus, cliquez
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Pop Space - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Dynamic Life - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Campeggi - Matali Crasset © Campeggi
Avril 2011 : Matali Crasset conçoit le sofa Dynamic Life, un canapé modulable composé de coussins articulé qui se déplient et se replient en fonction des besoins. (Editeur Campeggi)
Dynamic Life - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Hi Matic - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Mai 2011 : Matali Crasset imagine Hi Matic, petit hôtel parisien qui bouleverse les codes de l'hôtelerie traditionnelle.
Pour en savoir plus, cliquez ici.
Hi Matic - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Dar Hi - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Juin 2011 : Matali Crasset poursuit sa collaboration avec collaboration avec Philippe Chapelet et Patrick Elouarghi. Elle imagine un hôtel "éco-responsable" aux portes du désert tunisien.
Dar Hi - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Structure béton - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Simon Bouisson - CONCRETE BY LCDA © Simon Bouisson - CONCRETE BY LCDA
Sept. 2011 : Matali Crasset explore les nouvelles possibilités du béton en prenant la direction artistique d'une jeune entreprise spécialisée dans la réalisation d'intérieurs en béton.
Plus d'informations en cliquant
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Structure béton - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Big leaf - En aparté avec... Matali Crasset, designer
Nodus Matali Crasset © Nodus
Oct. 2011 : Matali crasset dessine "Big leaf", un tapis réalisé à l'occasion de la mise en place de son installation "Le blobterre de matali' au centre Georges Pompidou, à Paris. (Editeur Nodus)
Big leaf - En aparté avec... Matali Crasset, designer