La population vit de plus en plus vieille, et l'habitat doit s'adapter à ce phénomène. Comment faire en sorte que les personnes âgées, encore relativement valides, restent chez elles le plus longtemps possible ? Architectes et scientifiques travaillent actuellement sur plusieurs pistes de réflexion. Explications.
Alors que l'espérance de vie n'était que de 63 ans pour les hommes et 69 ans pour les femmes dans les années 1950, ce chiffre est désormais de 76,5 et 85 ans. Nous vivons plus vieux, mais encore faut-il vieillir en vivant bien. Face à ce phénomène, il existe de multiples solutions pour adapter les logements aux contraintes liées au vieillissement :
douche à l'italienne, fauteuils monte-escalier... Des solutions aussi diverses que leur coût, adaptées à des personnes encore relativement valides. Pour aller plus loin, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) développe actuellement la thématique du maintien à domicile, avec l'application des technologies de l'information et de la communication (Tic) dans le cadre du bâti neuf et existant.
"Nous cherchons à développer des approches socio-techniques en faisant travailler ensemble les gens du bâtiment et ceux de la santé", explique Patrick Morand, directeur du département des Tic et de la diffusion du savoir au CSTB.
L'un des projets à l'étude est
Gérhome, une expérimentation menée parallèlement en laboratoire et à échelle 1, dans des logements occupés. Il découle de la prise de conscience engendrée par la canicule de 2003, et vise à venir en aide aux personnes âgées vivant seules.
"Même en ayant la visite régulière de la famille ou d'une infirmière, ces personnes peuvent, sans que personne ne s'en rende compte, tomber petit à petit dans des dérives telles que le décalage des heures de lever, l'omission de prise de repas... on peut imaginer un système préventif, où ces tendances seraient identifiées", explique Patrick Morand. Le système, qui nécessite l'adhésion de la personne, vise à suivre notamment les puisages d'eau, détecter la présence ou encore les chutes. L'expérience est menée depuis fin 2009 dans deux chambres de maison de retraite, ainsi que dans deux maisons. Bien sûr, cette expérience nécessite, en plus du concours des professionnels de la santé, celui des industriels.
Le CSTB participe par ailleurs, via le Centre national de référence santé, à la mission "Vivre chez soi", lancée en février par la secrétaire d'Etat chargée des Aînés, Nora Berra, et dont l'objectif est d'effectuer un
état des lieux des différents obstacles qui peuvent survenir dans la vie quotidienne des personnes âgées et rendre difficile le maintien à domicile, afin de trouver des solutions pour anticiper ces problèmes et des manières de financer ces solutions.
"L'un des objectifs est de proposer des systèmes qui ne nécessitent pas des technologies ou des travaux trop lourds", indique Patrick Morand.
Une autre solution au maintien dans le logement le plus tard possible est celle de la cohabitation entre les générations. Si la secrétaire d'Etat à la Famille, Nadine Morano, prônait carrément, en juin 2009, la
colocation intergénérationnelle pour diversifier l'offre de logements pour les personnes âgées,
l'architecte Patrick Rheinert a imaginé une résidence, où jeunes et "seniors" vivraient côte à côte dans un système intelligent d'entraide pour
"ramener le logement collectif au niveau de l'humain". Si les logements en rez-de-chaussée y sont réservés en priorité aux plus âgés, le principe est aussi de mutualiser les compétences des différentes générations (bricolage, jardinage), tout en réinstallant à proximité de ce type de résidence des commerces de proximité, car leur raréfaction près des maisons des personnes âgées est devenue elle aussi un handicap, et une barrière au maintien à domicile.
Patrick Rheinert : "Réinventer le voisinage, ce n'est pas forcer les gens à vivre ensemble"
Pour l'architecte Patrick Rheinert, l'adaptation du logement au vieillissement de la population passera par la mixité dans les résidences. L'un des principes fondateurs de ce concept étant l'entraide entre les résidents et les générations, pour baisser les coûts de la vie dans la résidence, notamment. Interview.
Maison à part : Pourquoi le besoin d'adapter le logement au vieillissement de la population apparait-il si fort aujourd'hui ?
Patrick Rheinert : Un constat s'impose : en augmentant l'espérance de vie de près de 20 ans entre les années 1950 et les prévisions de 2040, qui donnent l'âge moyen de 81 ans pour les hommes et 89 ans pour les femmes, nous avons inventé une génération, pour laquelle il n'y a pas forcément de financement. On se retrouve dans une impasse, on sait très bien comment vons nos Etats, financièrement parlant. En tant qu'architecte et citoyen d'abord, je m'interroge sur ces mécanismes et je cherche des solutions pour que demain, on puisse encore vivre sereinement et confortablement.
Maison à part : La domotique peut-elle, selon vous, aider au maintien à domicile ?
Patrick Rheinert : Je pense que la domotique du futur sera très bien, mais aujourd'hui il faut presque un diplôme d'ingénieur pour se servir de ces systèmes. La technique peut être au service des personnes, mais elle ne doit pas être un gadget. La technique doit nous servir pour nous faciliter la vie et nous fédérer à nouveau. On peut réfléchir à des bâtiments durables et très économes au niveau charges et entretien. A cet égard, les Eco-quartiers sont à la mode, ce qui est positif, mais j'observe que l'on commence par la technique, au lieu de mettre l'habitant au centre et de construire le quartier autour.
Maison à part : Quelles sont les solutions pour rester à la maison le plus longtemps possible ?
Patrick Rheinert : Au niveau du bâti, on peut adapter les portes, et des éléments comme la salle de bains par exemple, si les personnes sont en fauteuil roulant. Mais on ne peut pas remplacer l'homme par la seule technique. Aujourd'hui, on va dans les dérives d'ajouter des couches et des couches. Notre société devrait plutôt favoriser la solidarité. Si la technique est là pour isoler les gens, ce n'est pas bien. Il faut instaurer un nouveau voisinage, en rendant agréables les lieux de rencontre pour qu'ils deviennent des lieux d'échange. Les promoteurs ont souvent donné la tache aux architectes de réduire le plus possible les parties communes, et que l'habitant de la maison de rêve ne voit pas ses voisins. Mon travail propose des espaces conviviaux, et s'interroge sur les zones de la construction de l'habitat qui ne sont pas propices au vivre ensemble. Réinventer le voisinage, ce n'est pas forcer les gens à vivre ensemble.
Maison à part : Pour aller vivre dans une résidence intergénérationnelle, encore faut-il que la personne accepte de quitter sa maison...
Patrick Rheinert : On observe que la personne âgée accepte de perdre son logement, si on la replace dans son quartier où elle a ses habitudes. Il faut donc construire dans un quartier existant. J'ai souvent été surpris de voir combien de place il reste dans les villages. Il ne s'agit pas seulement de faire des logements accessibles, mais de trouver aussi des équipements pour ces personnes. Dans le Rhône, 60% des communes n'ont plus de commerce : il devient difficile de faire des courses simples telles qu'aller acheter son pain. La réciprocité, c'est aussi de faire revenir les commerces avec les différentes générations, pour retrouver un peu de services au sein des communes. Tout en évitant le 'resort' et les ghettos de personnes âgées ou de bobos. En Allemagne, l'expérience montre que cela a permis de reculer de trois ans l'arrivée en maison de retraite.
Patrick Rheinert : "Réinventer le voisinage, ce n'est pas forcer les gens à vivre ensemble"
Projet Gérhome - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Plan du laboratoire du CSTB et placement des différents capteurs
Projet Gérhome - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Services numériques - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Services numériques - seniors © CSTB
L'objectif du projet Gérhome est de mettre les services numériques au service du maintien à domicile des personnes âgées. Le CSTB expérimente cette technique en laboratoire, mais aussi dans de réelles habitations, depuis 2009.
Services numériques - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Personnes seules - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Personnes seules - seniors © CSTB
Le projet Gérhome découle de la prise de conscience engendrée par la canicule de 2003, et vise à venir en aide aux personnes âgées vivant seules.
Capture de pression, détecteurs de mouvements, mesure de consommation d'eau, sont mis en place.
Personnes seules - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Patrick Morand - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
"Nous cherchons à développer des approches socio-techniques en faisant travailler ensemble les gens du bâtiment et ceux de la santé", explique Patrick Morand, directeur du département des Tic et de la diffusion du savoir au CSTB.
Patrick Morand - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Récipro'Cité - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
réciprocité © Agence Patrick Rheinert
La concept de Récipro-Cité, développé par l'architecte Patrick Rheinert, vise à mutualiser les services, via le gardien qui tient un rôle d'animateur et de trait d'union entre les habitants de plusieurs générations.
Récipro'Cité - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
Résidence - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population
récipro'cité © Agence Patrick Rheinert
Coopérative d'habitants WAGNIS 3 (100 logements) München Riem
Architectes : Bogevischs Büro Hofmann Ritzer
La conception de cette résidence s'appuie sur la communication entre les voisins, mais aussi l'utilisation de techniques et de matériaux performants, visant à réduire au maximum les dépenses courantes.
Résidence - Réinventer le logement pour qu'il vieillisse avec la population